C'est le tout premier film des frères Coen, qui avait été un sacré choc à sa sortie il y a plus de trente ans – le distributeur de l'époque avait dégoté un titre français dont il n'était pas peu fier : Sang pour sang ! – et qui ma foi tient remarquablement le choc. Un vrai bonheur de film, un vénéneux régal, un délicieux morceau d'impertinence cynique, de provocation perfide, d'ironie sournoise… Succulente variation entre le banal quotidien et l'exceptionnel horrible, exécutée avec un brio sans pareil par les deux frères sus-nommés, aussi drôles que méchants, aussi fantaisistes que sarcastiques.
Il fait nuit, il tombe des cordes. Sur fond de balais d'essuie-glaces, deux visages se dessinent en ombre chinoise, éclairés en courant alternatif par les phares des rares voitures croisées sur cette petite route texane. Le désir de l'homme et de la femme est tangible, il a le lourd parfum du péché, de l'interdit. Les mots s'étranglent, les voix se nouent : ça sent l'adultère à plein nez.
L'homme est l'employé du mari, un jaloux répugnant et sans dignité qui tient un bar miteux en ruminant sa vengeance… L'époux bafoué engage un détective privé immonde et gras pour exécuter à sa place les basses besognes. Plus retors et plus malsain que ce privé-là, ce n'est pas imaginable, mais il a un sens de l'humour typiquement texan qui n'est pas pour rien dans le charme du film. Voilà, les personnages sont en place pour le quadrille funèbre… Peut alors commencer le ballet époustouflant : les personnages vont s'épier, prêts à s'entretuer pour une banale histoire de fesses qui va virer au drame sanglant. Les événements s'enchaînent sous les pulsions imprévisibles d'individus à la fois primaires et tordus. C'est biscornu, déroutant, et les moments les plus affreux sont aussi les plus jubilatoires. C'est bourré d'imagination et de fantaisie, et quand les lumières se rallument, on est déçu d'être déjà au bout…