Erik, un jeune artiste joué par un encore plus jeune Rutger Hauer se remémore un passé amoureux intense et troublant dans sont atelier délabré où il se laisse aller nu à une vie en amnésie les yeux au bord des larmes, partageant ses journées entre masturbations vengeresses et oubli. Il retourne deux ans en arrière et refait le film de sa vie avec Olga, une petite rousse aux yeux et au tempérament multicolores et savoureux. Leur histoire se commençait alors tragiquement dans un accident de voiture où elle manquait de perdre la vie.
La puissance tragique de ce conte moderne laisse sans voix, et compose la vie comme la légère musique à l'harmonica qui emplit les moments de silence d'un destin surprenant. Les lieux et les gens évoluent dans un contexte psychologique immuable et sombre dont les joies paraissent intemporelles pour être définies un peu plus tard dans le caractère éphémère que leur octroie la vie. On ressort de l'expérience adoucis mais mal à l'aise, attristés d'avoir été pris à témoin d'une histoire si intimiste et tragique, fatigués d'avoir vécu à leur côté les différents mariages et les enterrements, les joies et les peines qui ont parsemé le parcours de ces deux oiseaux délicieux et fous, qui ont comme tous les couples commencés par chanter la douce mélodie de l'accouplement pour se confronter finalement aux barrières de leur monde intérieur.
Le thème de la folie de l'amour a rarement été aussi étincelant de réalisme. Sa brutalité et la violence qu'elle apporte dans les rapports humains de ces êtres perdus pour la société et perdus dans leur amour infini, place les prémisses d'un cinéma d'auteur dont Paul Verhoeven finira malheureusement par s'éloigner. Au regard de ce film, on peut même se demander si il ne s'agit pas de son meilleur tant l'émotion y est encore présente, tant le souffle artistique est ici le plus fort. L'intention de ce film est d'une grandeur inégalée par la suite malgré son manque d'ambition flagrant. On nous donne l'impression d'être confrontés à une simple histoire racontée par le plus grand des narrateurs. La caméra sait épouser toutes les facettes de cette réalité sans en ternir ou en embellir les couleurs. Le naturel va tellement bien à ces deux personnages dont la performance d'acteur est si exquise que leurs artifices ne peuvent être qu'hérités d'un vécu immense et d'une digestion sentimentale exceptionnelle.
Paul Verhoeven, au-delà de signer un de ses films les plus intenses, introduit brillamment une des plus grandes gueules du cinéma européen, qui s'exportera par la suite dans toutes les contrées du monde civilisé pour y jouer tour à tour héros sobres et méchants typés. Rutger Hauer deviendra grâce à cette première collaboration hollandaise l'icône qu'il a pu devenir pour le réalisateur en question dans un premier temps, puis pour tous les futurs réalisateurs avec qui il travaillera. Si R.H. crève l'écran, sa compagne de vie Monique Van Der Ven se retrouve à nos côtés dans la salle et nous touche encore plus profondément. Sa fraîcheur et son goût passent au travers de la fenêtre de visionnage et nous appellent à sa sensualité venue d'un monde que notre génération n'a que très peu ou pas connue : les années 70.
Un film majestueux dont la réalisation solide ne ménage rien et aux nombreuses bonnes surprises dont l'ingéniosité frappe encore après plusieurs décennies. Tout est déjà en place dans l'univers de P.V. alors qu'il n'est qu'au début de son art. La cruauté, la chair, le sang, le destin et ses facettes et la mort, ces grands acteurs que notre Hollandais préféré sait diriger sans crainte et avec un tact sans pareil. A regarder sans s'oublier, pour profiter de chaque plan d'un chef-d'oeuvre, pour savourer chaque parcelle délicieuse d'un période révolue et d'une magnifique histoire d'amour.
Source :
http://www.krinein.com/cinema/turkish-delices-7560.html