« Sing me a Song (chante-moi une chanson…), tout me va… tant que c’est une chanson d’amour… ». Dans le secret de sa chambre, c’est ce que gazouille timidement le jeune bonze qui rêve déjà de la demoiselle rencontrée sur internet. La caméra règle dès lors son pas sur celui de Peyangki, adolescent bouthanais, créant une proximité qui nous le rend vite intime. Une proximité rendue possible par la connivence réciproque qui s’est installée avec le réalisateur – Thomas Balmès avait déjà filmé Peyangki quelques années auparavant pour son film Happiness. Il revient donc dans le monastère de Lasa, perché à 4000 mètres d’altitude, dans lequel il avait laissé le garçonnet qui avait alors huit ans. À l’époque, la voie de Peyangki était limpide et lumineuse, son avenir tel qu’il l’avait choisi était tout tracé : rester pour toujours dans ces magnifiques paysages montagnards, prier, prier encore, prier sans relâche, devenir moine, en dépit de l’avis de ses parents qui voulaient l’envoyer à l’école. L’électricité n’était alors qu’un vague rêve. La télévision, interdite par le roi jusqu’en 1999, ne trônait pas dans chaque demeure… Qu’en est-il désormais ? Moins de dix ans ont passé, et pourtant ce pays, qui fut l’un des derniers à voir arriver les écrans, est celui qui en est devenu le plus grand consommateur… Les Bhoutanais étaient bien peu préparés à l’invasion technologique qui allait se produire…
Ici à Lasa, la nature est toujours belle, à vous vriller le cœur. L’air, toujours aussi vif, vous fouette les sens et donne envie de gambader dans les grandes étendues herbeuses qui surplombent les plaines. Mais cela ne semble plus être la priorité des moinillons, perpétuellement rivés à leurs portables, devenus incapables même d’en décrocher durant les incantations, les prières. Il faudra bientôt que Bouddha pénètre dans leurs écrans pour espérer attirer un peu leur attention. Il y a quelque chose d’un peu effrayant dans ce monastère comme on ne l’imagine guère, où même la guerre pénètre par l’intermédiaire des jeux vidéos. Il n’est sans doute que le reflet de toute une société. Ce qui frappe, c’est la grande liberté qui y règne. Il y a bien quelques aînés qui essaient d’aiguiller, de donner deux ou trois conseils dans la plus grande bienveillance… Qui les écoute, qui les suit vraiment ?
Plus que les jeux vidéos, ce sont les filles qui titillent Peyangki, un penchant tenace qui ne peut pas contribuer à la sérénité d’un célibat monacal… À force de baguenauder dans les pâturages de la toile, il a même fini par dénicher la perle rare. Du moins le croit-il car, en définitive, que connait-il du vaste monde ? Il se gargarise des mots de la donzelle, finit par ne plus pouvoir cacher la chose à son meilleur ami : « Regarde comme elle est jolie ! » Elle a la voix douce, elle chante bien, se montre disponible et désireuse de le rencontrer… Il n’en faut pas plus pour que naisse une véritable idylle. Plus les deux tourtereaux échangent à distance, plus l’envie devient irrépressible d’aller la rencontrer. Bien que notre jeune éphèbe ne soit jamais sorti de sa campagne, peut-être franchira-t-il le pas ?
Vous l’aurez deviné : le véritable personnage principal de cette intrigue amoureuse, ce qui lui donne son piquant, c’est la révolution numérique qui s’opère dans un pays qui a tout fait pour s’en protéger le plus longtemps possible. Et ce même big brother qui s’impose dans nos vies nous parait d’autant plus terrible dans ces paysages sublimes, jusques-là préservés. C’est comme un miroir tendu qui nous fait nous questionner sur le tournant que prennent nos civilisations, le sens de la vie, nos propres addictions. Salutaire, beau et percutant !