Elle pourrait faire les jeux olympiques, Julie, en athlétisme, épreuve du 400 mètres haies. Beaucoup de haies, beaucoup d’obstacles. Car à la voir ainsi courir, de la première paupière levée le matin à l’effondrement horizontal le soir, on ne peut que constater qu’elle a l’étoffe d’une championne : endurance, obstination, souffle, cadence et une très grande capacité d’adaptation. S’adapter… vaste projet, celui de toute une vie en fait quand on est une mère solo qui travaille et élève ses deux gamins. S’adapter quand elle a fait le choix de mettre sa carrière entre parenthèse pour être mère à temps plein. S’adapter ensuite pour retrouver un job compatible avec son quotidien. Puis il a urgemment fallu s’adapter quand le compagnon avec qui elle avait décidé d’acheter une maison en banlieue – le calme, le petit jardin, c’est mieux pour les enfants – s’est barré sans demander son reste, et surtout pas la garde alternée.
Ce matin-là n’échappe pas à la règle : un important mouvement social s’est déclenché dans les transports en communs et Julie va devoir, dès l’aube, s’adapter, se débrouiller pour aller, coûte que coûte, travailler, car même si elle aurait aimé aller à la manif, elle ne peut pas se permettre de louper une demi-journée. Heureusement, Julie a de la ressource : une voisine sympa qui lui garde ses petits et les amène à l’école, deux jambes en mouvement, un cerveau qui carbure à 200 à l’heure et un sourire large et pétillant, son meilleur allié.
Ce matin-là, une fois encore, tout est sous contrôle et elle arrive à peu près à l’heure dans le palace parisien où elle est première femme de chambre. Le temps de badger, d’enfiler sa tenue impeccable, d’esquiver l’énième coup de fil de sa banquière qui doit « absolument lui parler », de tirer à quatre épingles le chignon de rigueur… et la journée de boulot peut commencer… La sienne a déjà débuté depuis plusieurs heures mais à partir de maintenant, au moins elle sera payée.
Est-ce la fatigue de ces temps de trajets sous stress, ou bien cette sensation désagréable qu’elle doit sans cesse quémander : l’aide à la voisine, la pension alimentaire à l’ex négligent, un petit aménagement de planning aux collègues ? A moins que ce ne soit ce travail ingrat dans l’ombre des fortunés… Julie en a ras le bol, sa claque, plein les baskets : il est temps pour elle de changer. Temps de reprendre les rennes et relever la tête, de chercher un nouveau travail, de retrouver le monde de l’entreprise et quitter celui des lingettes et des aspirateurs. Pour cela il lui faudra passer des entretiens, s’absenter, s’arranger, mentir. Autant dire du stress en plus…
Volontairement tourné au plus près de Julie, son souffle court de mère au bord de la crise de nerfs, ses yeux cernés, son corps fatigué par le mouvement perpétuel, À plein temps a des allures de thriller : le rythme, la musique et ce vrai suspense du quotidien qui raconte comment la vie d’une mère active ressemble parfois à celle de Jason Bourne. Ne pas rater un train, réussir à relancer la chaudière avant la douche, monter à 23h15 un trampoline dans le jardin pour la fête d’anniversaire du lendemain, courir sur le pavé en tailleur et talons hauts… C’est peu de dire que Laure Calamy porte le film de bout en bout, formidable dans un rôle moins fantaisiste que ceux qui l’ont rendue populaire. Grâce à elle, à son énergie, à sa conviction, à son engagement total dans le rôle, on s’attache autant à Julie dans la mégalopole parisienne qu’à Antoinette dans les Cévennes.