« Ce matin ils ont osé / Ils ont osé / Vous assassiner. / C’était un matin clair / Aussi doux que les autres / Où vous aviez envie de vivre et de chanter. / Vivre était votre droit / Vous l’aviez refusé / Pour que par votre sang d’autres soient libérés. / Ce matin ils ont osé / Ils ont osé / Vous assassiner. » Extrait du poème de la moudjahida Annie Steiner, pour Mohamed Lakhnèche, Mohamed Ouennouri et Fernand Iveton, militants anti-colonialistes guillotinés le même jour, le 11 février 1957.
Pardonnez une petite incise personnelle de votre rédacteur qui a eu le bonheur d’avoir un père communiste, soutien indéfectible du FLN durant la guerre d’Algérie, ce qui lui valut d’ailleurs quelques déboires judiciaires et carcéraux. Dans son panthéon militant, il y avait, bien au-dessus de Lénine, un ouvrier modeste qui avait, imprudemment mais avec la conscience de la justice de son acte, posé une bombe pour saboter un tuyau dans l’usine de gaz où il travaillait. Une bombe qui n’explosa même pas, et dont il s’était assuré auparavant qu’elle ne ferait aucune victime et seulement des dégâts matériels. Un homme qui n’avait pas, comme Maurice Audin ou Henri Alleg, autres compagnons de route du FLN, un parcours intellectuel de haute volée mais qui était juste un ouvrier indigné et convaincu que les Algériens étaient ses frères. Les Algériens qu’il avait vus sauvagement massacrés à Sétif, le 8 mai 1945. Un autre 8 mai, celui que la France a occulté. Mon père n’avait de cesse de me rappeler qu’il arrive régulièrement que des poseurs de bombe, considérés comme terroristes, deviennent après coup des héros, comme ce fut le cas pour l’ébéniste Georg Elser, qui tenta d’assassiner Hitler en 1939.
Cet homme, ce poseur d’une bombe qui n’explosa pas, c’était Fernand Iveton, syndicaliste communiste né dans une banlieue d’Alger et qui devint tristement le seul Français officiellement condamné à mort par un tribunal civil durant la Guerre d’Algérie (Henri Maillot fut condamné à mort par contumace par un tribunal militaire et abattu par les gendarmes mobiles français après avoir été torturé, et Maurice Audin disparut mystérieusement après son arrestation).
Grâce soit rendue au romancier Joseph Andras (au passage un mystérieux personnage, qui refusa au grand dam de l’Académie de recevoir son prix Goncourt) et aujourd’hui au cinéaste Hélier Cisterne – avec la complicité de sa co-scénariste Katell Quillévéré – de nous transmettre cette histoire oubliée. Hélier Cisterne retranscrit magnifiquement l’ambiance de l’époque, de cette guerre sans nom – pour reprendre le titre du remarquable film documentaire de Bertrand Tavernier –, marquée, au sein de la communauté des Français d’Algérie, d’un côté par la paranoïa des attentats du FLN, de l’autre par l’engagement de jeunes gens, comme Fernand Yveton, aux côtés des Algériens résistants.
Mais il décrit aussi superbement l’amour du couple que formaient Fernand et son épouse Hélène qui, malgré des désaccords politiques (Hélène, d’origine polonaise avec un père bloqué au pays, avait une vision moins « enthousiaste » du communisme), se battit jusqu’au bout pour son mari avant de tenter de le réhabiliter. Notre adhésion à ces personnages captivants tient beaucoup aux comédiens qui les incarnent : Vincent Lacoste (qui n’en finit pas de nous épater) et Vicky Krieps (rôle principal de Serre-moi fort d’Amalric) sont tout simplement parfaits.
Lâché par le PC et son journal L’Humanité qui ne voyaient pas en lui un personnage assez héroïque, Fernand Iveton espéra jusqu’au bout sa grâce mais un certain Ministre de la Justice d’un gouvernement qui se disait socialiste refusa de la lui accorder et entérina son exécution sur l’échafaud : il s’appelait François Mitterrand.