Boum Boum, le premier long métrage de Laurie Lassalle, dévoilé dans la compétition française du 44e festival Cinéma du réel, emprunte un chemin plutôt inattendu pour s’immerger sur le bitume parisien des manifestations, au milieu des brouillards de gaz lacrymogènes, des revendications disparates, des échauffourées avec la police et malheureusement des très nombreux blessés ayant émaillé toute une succession de samedis d’un hiver français tumultueux (qui semble maintenant presque de l’histoire ancienne chassée par le tourbillon de la pandémie et le fracas de la guerre en Ukraine). C’est en effet le fil conducteur de la passion amoureuse, de l’ensorcellement déraisonnable, que la cinéaste a choisi de tirer, en miroir des espérances enflammées et révolutionnaires d’un mouvement social rassemblant chaque semaine dans les rues de Paris des individus venus d’horizons très différents et unis par les soubresauts d’un coup de foudre collectif et déconstructif se cognant peu à peu au réel. Tout commence le 1er décembre 2018. Laurie la réalisatrice a rencontré par hasard le beau Pierrot quelques jours auparavant ("je devais aller chez le coiffeur et c’est toi qui m’as coupé les cheveux") et la voilà maintenant avec sa caméra, à deux pas des Champs-Elysées et de l’épicentre explosif de l’Arc de Triomphe où l’acte III du mouvement des Gilets jaunes déborde en un chaos de destructions et de détonations digne d’une guérilla urbaine propulsée sur les écrans du monde entier. La cinéaste plonge donc dans la captation de l’événement en immersion totale, mais c’est aussi pour elle le début d’une romance très particulière racontée en voix-off : "Je t’envoie un message : je suis avenue Kléber, tout brûle (…) Je te cherche parmi la foule, j’espère reconnaître ton immense silhouette."
Une exaltation sentimentale doublée de ferveur révolutionnaire qui va suivre son chemin jusqu’au printemps, rythmée par les manifestations hebdomadaires, par la mutation progressive de l’atmosphère (les tensions, les confrontations violentes avec les forces de l’ordre et la casse augmentent, la peur également), et croisant sur le pavé des trajectoires tissant un portrait composite du mouvement (la précarité sociale des uns, les motivations politiques des autres, etc.), le tout amplifié par les émotions agitées de l’affect (Pierrot a une autre femme dans sa vie). "La lettre d’amour, comme la lettre codée d’un espion, doit dire la vérité". Cité par Pierrot dans le film, cet extrait de la correspondance de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, donne d’une certaine manière le ton de Boum Boum qui mêle la restitution (dans un style très brut et sans filtre) du chaos enflammé des événements à une auto-analyse affective tout aussi spontanée. Une superposition tentant d’établir des liens de comparaison entre les deux strates (le coup de foudre surprise de l’intensité révolutionnaire orgasmique des débuts que l’on cherche ensuite à retrouver, le désir s’étiolant, les temps pleins et les temps vides, les partenaires ne cherchant pas forcément la même chose, etc.) qui, à l’image de l’amour-passion, est parfois un peu décousue et un brin autocentré, mais qui ne manque pas de charme et d’originalité.