Serre moi fort. Rien d’autre que ce titre intriguant, puissant, et le visage solaire de Vicky Krieps. Ne pas en savoir plus pour être complètement saisi par l’émotion brute du film, se laisser guider par l’intelligence de son réalisateur, par sa narration complexe, par sa mise en scène d’une si délicate beauté. On aimerait aussi ne pas en dire plus tant la peur est réelle de dévoiler trop de secrets, d’éclairer trop de chemins alors que la beauté et l’émotion du voyage que nous propose Mathieu Amalric résident bien dans la capacité du spectateur à oser se perdre, en tout cas à accepter de prendre le temps avant de savoir où il va exactement.
Car le récit a des allures de chasse aux trésors et il nous faut chercher et trouver les indices en sachant au préalable que rien, dans le déroulé de cette histoire, ne sera jamais laissé au hasard, que le moindre détail, glissé au creux d’un plan par un réalisateur méticuleux, va nous guider, nous mettre sur de vraies ou fausses pistes. Mais riches de sens et de promesses en tout cas.
Ça pourrait ressembler à un thriller, et d’une certaine manière c’en est un, car la tension narrative induit ce mélange d’appréhension et d’excitation qui nous tient en haleine jusqu’au dénouement. Mais le film bien entendu ne se réduit pas à cela, il va plus loin, bien plus loin que toutes les énigmes qu’il dessine et auxquelles il ne cherche pas forcément à apporter de véritables réponses.
Serre-moi fort. Comme une prière qui se répète soir après soir, nuit après nuit, semaine après semaine. Comme un appel à l’aide, comme un amour qui nait, qui vit et qui se fane. Serre-moi fort, comme une injonction à ne jamais se quitter, à ne jamais oublier la puissance des bras qui étreignent et la vie qui jaillit au milieu.
Dans une maison, à l’aube, une femme jette un dernier œil sur son mari et ses deux enfants endormis, hésite à laisser un message sur la table de la cuisine, puis se ravise et met plutôt en évidence un paquet de céréales avant de sortir prendre sa voiture et la route. « Tu t’enfuis ou quoi ? » lui demande une copine dans une station service à la sortie de la ville. Elle s’enfuit peut-être en effet, mais peut-être pas. Et si elle fuit, que fuit-elle ? Son passé, son présent trop pesant ?… À moins que tout cela ne soit qu’un rêve. Ou un souvenir.
Et dans un vertige virtuose de télescopages, d’échos, de superpositions, de retours en arrière et de sauts dans le futur, se dessine peu à peu une tout autre histoire…
Tout comme Barbara, le précédent film de Mathieu Amalric, Serre-moi fort puise ses intentions dans le trouble du souvenir et du passé que l’on pourrait recréer à sa guise ; mécanique qui rappelle bien sûr celle du cinéma, créateur d’un monde fait d’illusions, de désirs inachevés, d’ombres et de fantômes. Film majeur de la rentrée, Serre moi fort est tout entier porté par l’actrice Vicky Krieps (remarquable déjà dans Phantom thread de Paul Thomas Anderson et tout récemment dans Bergman island de Mia Hansen-Love). Ne forçant jamais les émotions, la fragilité et la puissance de son personnage se lisent dans chacun de ses gestes, chacun de ses regards…