C’est fou ce qu’il peut y avoir comme histoires dans un seul film d’1h25 ! L’histoire d’un jeune écrivain sans le sou qui aimerait être publié pour vivre enfin de son art. L’histoire d’un petit gars de province, « issu d’un couple mixte », qui tente de survivre dans un Paris gentrifié de tous les côtés. Il sera aussi question d’un amour naissant, d’un co-locataire au cœur aussi balèze que son tour de taille et de quelques techniques de vente pour faire acheter à des bobos friqués des montures de lunettes chic et branchées.
Pour son premier long métrage – autobiographique –, Louda Ben Salah-Cazanas a résolument choisi l’humour, l’auto-dérision et une certaine forme de nonchalance pour raconter cette histoire de survie en territoire hostile. Car on a beau être jeune, beau gosse, doté d’un certain sens de la formule et d’un farouche désir de réussir par la force de l’écriture, il faut bien des ressources intérieures pour ne pas être avalé tout cru par la plus belle ville du monde.
Labidi a récemment quitté son Lyon natal et le bistrot de quartier familial pour conquérir la capitale et il est bien décidé à ne surtout rien raconter de ses galères, histoire de ne pas inquiéter ses chers parents (savoureux Saadia Bentaïeb et Jacques Nolot). Et quels parents ! Ils se sont rencontrés, ils se sont aimés et ne se sont plus jamais quittés, cultivant, entre la salle, le zinc et le modeste appartement, un jardin d’Éden dont l’amour pour ce fils « monté à Paris pour de grandes et nobles ambitions » éclaire le quotidien. Certes, ils se doutent bien que le roman sur lequel travaille le fiston est encore loin d’avoir été accepté par un éditeur, mais ils font comme si, pour ne pas froisser ses rêves.
Car la vie à Paris, quand on n’a pas le bon carnet d’adresses, ni le bon tonton bedonnant qui connaît la place, c’est une vraie épopée de galérien… surtout pour qui a préféré la voie désuette de l’écriture aux sirènes de la start-up nation. Mais Labidi est du genre persévérant, et qu’importe s’il partage un matelas avec son meilleur pote dans une de ces chambres de bonnes louée à prix d’or, il a déjà un agent qui le pousse à livrer dans les délais la suite des premières pages qui ont alléché une prestigieuse maison d’édition. Mais c’est compter sans la rencontre avec la jolie Elisa… patatras !
Vivre d’amour et d’eau fraîche, c’est un concept qui a fait les preuves de son inefficacité et Labidi, pour permettre à sa belle de finir sa thèse en histoire, va se tourner vers les petits boulots de livreur de pizza, les combines et la débrouille. Qui sait ? Il va peut-être enfin le terminer ce bouquin et devenir l’écrivain qu’il rêve d’être, passant ainsi de la précarité à la notoriété, comme on se faufile d’une classe sociale à une autre.
Mais l’artiste qui « veut devenir » peut-il jamais y parvenir ? Et peut-on sincèrement s’affranchir de son milieu social, de ses racines sans y perdre quelques plumes de sa jeunesse et de son âme ? Filmé « comme un souvenir, avec du bleu et du gris », Le Monde après nous raconte l’urgence à vivre d’une jeunesse à part, un peu en marge, éloignée de l’agitation dominante des réseaux sociaux, de l’efficacité, du toujours plus. Avec son côté un peu froid, lunaire et pince sans rire, Aurélien Gabrielli (qui vient du théâtre) avance dans le film avec un détachement souvent drôle et inattendu qui donne au récit sa tonalité singulière.