Paradoxalement, Detroit est devenue une ville hautement cinématographique du fait de son déclin (souvenez-vous en particulier du fascinant Only lovers left alive de Jim Jarmush, qui faisait déambuler son couple de vampires millénaires dans des rues et des décors quasi fantomatiques). Capitale américaine donc mondiale de l’automobile durant les années prospères des lendemains heureux de la guerre, la ville a subi de plein fouet le déclin du secteur et la propension des grands groupes à délocaliser leur production vers des contrées aux salaires plus bas et à la pression syndicale moindre. Puis en 2008, avec la crise des subprimes, Detroit est devenue une « shrinking city », une ville qui retrécit, nombre de ses habitants se voyant dans l’incapacité de rembourser leurs prêts contractés avant l’effondrement de la bulle spéculative.
Ce film passionnant – centré autour de quelques figures historiques locales de la contestation afro-américaine, personnages formidables désormais sexa ou septuagénaires qui sont restés detroiters coûte que coûte – ne se contente pas de dresser le constat terrible de la situation actuelle d’une ville qui dut il y a quelques années se déclarer en faillite. Ce que nous racontent nos guides, anciens ouvriers, militants des droits civiques, compagnons de Martin Luther King – qui tint à Detroit un meeting inoubliable –, c’est toute l’histoire d’un prolétariat, ses luttes, ses passions.
Le film rappelle aussi que Detroit devint dans les années 60 le foyer de la soul avec le légendaire label Motown (clin d’œil au surnom de la ville : la Motor Town), créé en 1959 par Berry Gordy Jr. Un ouvrier explique que c’est probablement les gestes répétitifs imposés aux travailleurs à la chaîne qui inspirèrent les rythmes entêtants de la soul. Une histoire musicale qui se poursuivra avec la naissance de la techno à Detroit dans les années 80.
Aujourd’hui, c’est le temps du mouvement Black Live Matters, c’est l’heure du déboulonnage des statues de Thomas Jefferson, 3e président des États-Unis et propriétaire d’esclaves… Malgré les maisons en ruines, l’âme de Detroit est bien vivante.