Murina

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Julija est une jeune fille effrontée qui étouffe sous l’autorité paternelle. L’île croate où elle vit, paradis prisé par les touristes l’été, est sa prison dorée. Elle y trompe l’ennui grâce à la plongée sous-marine, en attendant de pouvoir s’enfuir pour découvrir le monde...

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Quinzaine des réalisateurs 2021

L’année des murènes

 Après avoir été primée à Berlin mais aussi au festival Premiers Plans d’Angers avec son court métrage Into the Blue (2017),Antoneta Alamat Kusijanović développe Murina en passant notamment par la Résidence du Festival de Cannes. “J’ai voulu explorer les tensions d’une famille envahie par un étranger, un marginal qui pousse la force intérieure d’une jeune fille à affronter les limites et les codes qu’elle a connus toute sa vie” , raconte la cinéaste croate, qui a voulu aussi aborder la thématique du chauvinisme, “si profondément ancré dans notre société que nous le confondons souvent avec notre culture”. L’action se situe dans le décor paradisiaque d’une petite île, mais qui, en fin de compte, symbolise “une société obsédée par l’enrichissement rapide et capable de vendre jusqu’à son âme”. Murina est une coproduction entre la Croatie, la Slovénie, le Brésil et les États-Unis, un montage comprenant entre autres Sikelia Productions de Martin Scorsese.  

 

 

Une île en Croatie. Dans l’air marin flottent comme des effluves d’Italie et de Grèce mêlées. Après tout les trois pays partagent les mêmes eaux méditerranéennes, au bleu profond et organiques, dans lesquelles Julija adore plonger toujours plus longtemps, toujours plus profondément. Merveilleux moments de répit où elle échappe enfin au verbiage des aînés, à leur pesante gouvernance. Ils ne sont pas nombreux, ceux capables de rivaliser avec notre naïade des temps modernes, aux épaules athlétiques, à la beauté hellénique. Un harpon à la main, près des abysses elle côtoie le calme, les impressionnantes murènes (« murina » en croate), qui n’hésitent pas à s’arracher un bout de chair s’il leur faut se libérer des griffes des hommes, leurs plus terribles prédateurs. Quelle meilleure leçon de vie, quand on a dix-sept ans, que d’apprendre qu’il vaut toujours mieux préférer la liberté à la sécurité, savoir sacrifier parfois une partie de soi-même pour survivre ? Une fois six pieds sous mer, Julija se sent toujours plus vivante, comme chez elle dans cet élément aqueux pourtant un brin inquiétant.
Mais moins inquiétant sans doute que les sautes d’humeur tempétueuses de son père, Ante, qui semble vouloir la dresser comme le fils qu’il n’a pas eu, pour l’instant d’après lui reprocher de ne pas être assez fille. Qui pourrait faire front face à la déferlante de remarques grinçantes qui se déversent alors dans un flot de violence verbale ? Même la complicité de sa mère, Nela, fond plus vite que neige au soleil quand il faudrait défendre son unique progéniture. C’est un patriarcat aussi omniprésent et abrupt que les falaises qui est à la barre, qui règne de façon si outrée qu’il appelle forcément la résistance, à condition d’avoir un caractère bien trempé : c’est de toute évidence le cas de Julija.
Tandis que les sémillants touristes se pavanent sur les yachts et sur la plage, l’adolescente n’a d’autre loisir que de les observer en cachette depuis les quatre murs de sa chambrette spartiate qui surplombe le port. Quand on a dix-sept ans, il est étrange de se sentir confinée dans une île de rêve, alors que tant d’autres jeunes du même âge ont déjà pris un envol qui lui semble inaccessible… Étrange et insupportable de n’avoir pour horizon qu’une aveugle obéissance à celui qui régente le moindre souffle de la maisonnée pour qu’aucun rêve, ni désir ne dépassent…
La venue d’un vieil ami de la famille va changer la donne… Élégant, bronzé, drôle, riche, Javier, qui a l’âge de son père, observe Julija comme ce dernier ne l’a jamais observée. Attentif, charmeur, intrigué. Un regard tel une bouée de sauvetage où puiser la force, une nouvelle confiance, un encouragement à se rebeller. Malicieuse, notre jeune héroïne aura même tôt fait de dévider les étranges liens qui ramènent sa mère à sa propre jeunesse perdue et qui pourraient l’amener elle aussi à enfin s’émanciper…
La mise en scène resserrée capture toute la rudesse de ce huis-clos familial intense, minéral. La jeune actrice qui interprète le rôle principal déploie un charme sensuel aussi hypnotique et perturbant que celui d’une sirène. Ce lieu hors du temps, que seuls les rochers ne semblent pas vouloir déserter, semble soudain s’ouvrir à tous les possibles.