Ne pas connaitre la vérité. Risquer de ne jamais la connaître. C’est comme un poison qui s’immisce dans les pensées, dans les rêves. Une addiction larvée qui ronge de l’intérieur. « Chaque enquêteur tombe un jour sur un crime qui fait plus mal que les autres, qui, pour une raison mystérieuse, se plante en lui comme une écharde, et la plaie n’en finit pas de s’infecter. ». C’est cette phrase qui plane sur cette nuit du 12, à jamais suspendue, entêtante avec ses parts de mystères non élucidées. Un « cold case » comme les appellent les Américains, une enquête frustrante qui ne permet pas de mettre la main sur « le » coupable. Nous tenir en haleine en annonçant d’emblée que l’affaire ne sera pas résolue, c’est tout le pari audacieux et réussi de Dominik Moll. À l’instar des protagonistes et contre toute attente, on se met à espérer un dénouement, à guetter, spéculer, scruter les indices pour transformer notre intime conviction en preuves tangibles.
Premières images ? Dans une luminosité entre chien et loup, un cycliste seul sur une piste tourne en rond comme son enquête… Yohann (subtilement interprété par Bastien Bouillon) est un flic sportif et svelte qui a l’élégance de ne pas rouler des mécaniques, celle de se mettre à l’écoute, de se remettre en question.
Deuxième scène, une jeune femme marche sans crainte sous la lune tranquille d’un quartier pavillonnaire paisible après avoir quitté sagement ses copines pour rentrer se coucher. Clara envoie un dernier selfie à sa meilleure copine Nanie pour lui dire combien elle l’aime ; heureuse de l’avoir à ses côtés. Nul ne sait ni le jour ni l’heure… L’action se situe quelque part dans la photogénique vallée de la Maurienne, au climax tiraillé entre paysages montagneux et industriels, stations de skis, barres d’immeubles et résidences coquettes. Après coup, on saura que c’est la nuit du 12 que Clara a été assassinée. Le lendemain ce sera le branle-bas de combat, zone cernée par la gendarmerie locale puis par la PJ de Grenoble, mise d’emblée sur l’enquête par peur qu’elle piétine. Et pour piétiner, elle piétinera…
Banalité du mal, banalité des préjugés chez certains mâles, même ceux du côté lumineux de la force, qui, quelle que soit la violence d’un féminicide, ne peuvent s’empêcher de faire une enquête de moralité à charge contre la victime. Sa tenue ce soir-là n’était-elle pas aussi légère que ses mœurs, une sorte de pousse au crime ? Cela va devenir une vertigineuse mise en abyme, une enquête sur les démons intérieurs de notre société, une affaire qui va irrémédiablement hanter Yohann et son acolyte Martial, un grand « sentimental » comme l’appellent ses collègues. Et qui d’autre aurait pu mieux incarner ce personnage traversé de doutes, d’un irrépressible courant de compassion et de révolte rentrées que l’extraordinaire Bouli Lanners ? Pourtant, malgré l’acharnement de ce duo particulièrement motivé et tenace, nulle piste sérieuse ne semble se dégager. Le doute s’immisce, la frustration de la lourdeur institutionnelle, de ses paperasses, le besoin de décompresser à coup de blagues potaches… Nous voilà en immersion dans le microcosme policier, brut de décoffrage… Et progressivement une question affleure : et si l’enquête initiale avait été conduite par un regard de femme, cela aurait-il changé le cours des choses et amené un autre dénouement ? La présence des grandes absentes de l’histoire s’impose progressivement…
Nourri de toutes ces mises en perspective, de toutes ces interrogations, La Nuit du 12 s’impose comme un thriller passionnant, profondément humain et lucide.