Submergé par les contraintes de sa superproduction Les Cendres du temps dont le tournage est alors arrêté, Wong Kar-wai, est en profonde crise créatrice : il a besoin de retrouver énergie et instinct. Il décide de se lancer dans la réalisation d’un film court, rapide, contemporain, avec peu de moyens : « Ce film, je l’ai fait comme un voleur, la nuit ». Car il écrit le jour et tourne la nuit, dans une quasi-immédiateté.
« Un garçon aime une fille, une fille aime un garçon. » Chungking Express est construit sur un diptyque, deux histoires de flics solitaires malheureux en amour, deux récits indépendants et complémentaires, liés entre eux par des personnages et des lieux communs. Une histoire se termine par une rencontre, laissant place à la seconde, qui, elle, débute par une autre rencontre. La dualité est partout : policier en uniforme ou sans, femme sophistiquée ou d’une réelle simplicité, pleine lumière ou ambiance nocturne…
Chungking Express est un film drôle, léger, rapide, émouvant et fataliste, placé sous le signe du mouvement, des croisements, des rencontres éphémères et de la solitude. Car dans l’ambiance survoltée de Hong Kong, les êtres sont toujours à « un millimètre » d’une rencontre.
Le choc du quatrième film de Wong Kar-wai est aussi visuel. La caméra, portée à l'épaule, est fluide, alerte, en permanence aux aguets. Le cinéaste a saisi la vie. Le montage est nerveux, l’image, parfois déformée, bouillonnante. Partagé entre des jours lumineux, emplis de blanc solaire, et des nuits moites et chaudes, sous des néons baveux, Chungking Express est un véritable work in progress.
« Wong Kar-wai brosse le portrait déchirant d’une jeunesse en quête d’identité, sans se soucier des sempiternelles conventions psychologiques. Son approche behavioriste est cependant radicalement opposée à la démarche des jeunes réalisateurs français qui abordent les mêmes thèmes. À l’espèce de vide existentiel qui détache leurs fictions de toute réalité sociale, il préfère l’expression d’un romantisme désenchanté qui poétise le quotidien pour mieux s’accrocher au mirage de l’amour. » (Philippe Rouyer, Positif n°410, avril 1995)