Après son tournage entre la France, Singapour, la Suisse et l’Espagne, le voilà en compétition au 64e Festival de San Sebastián: L'Homme aux mille visages est sans nul doute une des productions espagnoles phares de la saison qui commence. Avec son budget de cinq millions d’euros, le film pourrait répéter le formidable succès, national et international, du film précédent d’Alberto Rodríguez : La isla mínima. D’ailleurs, l’équipe de ce dernier film a de nouveau été réunie au complet, exception faite de ses acteurs, mais comme Javier Gutiérrez, qui a accumulé les prix pour sa performance (aux côtés de Raúl Arévalo) dans le thriller tourné autour des berges marécageuses du Guadalquivir et situé juste après la période franquiste, son successeur, Eduard Fernández, va être sous tous les regards pour sa performance dans le rôle de Paesa dans ce nouveau thriller, plus urbain, mais également situé à une époque trouble de l’Histoire de l’Espagne au XXe siècle, secouée par les tromperies et les polémiques.
L’acteur catalan compose ici un mercenaire sans scrupules ni vergogne, capable de se vendre au plus offrant. Certes, la description pourrait correspondre à n’importe quel homme politique (ou entrepreneur, ou citoyen) de cette Espagne corrompue où l’on s’est habitué à voir dans le journal, chaque matin au réveil, un nouveau scandale de vol de fonds publics. En ce sens, Paesa était en avance sur son temps, manipulant, volant ou extorquant tout ce qui lui chantait, surtout quand Roldán, poursuivi pour avoir escroqué le gouvernement après avoir été directeur de la Guardia Civil, a sollicité son aide pour se sortir d’une sale affaire. Les événements qui ont suivi – et qu’on ne décrira ici pas plus avant pour ne rien dévoiler de l’intrigue de L'Homme aux mille visages–, ont bouleversé le pays, désormais démocratique, mais où les gens commençaient à douter de leurs dirigeants.
Pendant les années 1990, Alberto Rodríguez était encore à l’université, de sorte que quand on lui a proposé d’adapter le livre de Manuel Cerdán, Paesa: el espía de las mil caras, la mission n’étant pas des moindres, il a fait des recherches approfondies pour composer, aux côtés du fidèle Rafael Cobos, ce qui allait devenir le scénario de son septième long-métrage.
Le résultat (car comment ne pas comparer) pâlit, à côté de La isla mínima.. On a l’impression que le réalisateur a été plus attentif au détail du décor, des costumes et des lieux (tous magnifiques) qu’à la construction des personnages, d’une froideur contagieuse qui parcourt de son souffle glacé tout le film pendant les deux heures qu’il dure – bien que cela ne nous empêche pas de continuer d’adorer les films les plus personnels et intimes de Rodríguez, comme 7 vírgenes et After, auxquels il était facile de se rapporter. Ce n’est pas le cas de L'Homme aux mille visages où le personnage de Marta Etura est le seul qui arrive à susciter chez le spectateur un peu d’empathie. Le reste est une succession torrentielle d’informations (qu’une voix off essaie d’harmoniser avec le personnage inventé de Jesús Camoes) et une reconstitution d’événements (certains réels, d’autres pas exactement) tournés avec maîtrise et professionnalisme.