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L’inde bien représentée cette année à Cannes après le séduisant CHAUTHI KOOT voici le non moins séduisant MASAAN tributaire d’un prix d’ailleurs
Bien loin des charmantes « Bollywooderies », une nouvelle vague de films indiens parvient sur nos écrans pour nous parler de ce magnifique pays de manière plus authentique. Tout récemment Titli aussi présenté l’année dernière à Un certain regard , et aujourd'hui donc Masaan. Le film nous entraîne au fil du Gange. Pas celui des touristes, non, celui sur les bords duquel vivent les intouchables. Jamais misérabiliste, le récit, fluide, rend l'intrigue captivante.
Nous sommes à Vârânasî (Bénarès), ville sainte, où la jeunesse, pour conquérir une part de liberté, tente d'ouvrir des brèches dans des conventions sociales oppressantes, tout en restant respectueuse de ses aïeux, de leurs rites. Le dosage est délicat et dans cette recherche, les parents les aident parfois à bousculer cette société patriarcale.
Sous le soleil pesant, une jeune fille en fleur, Devi, sort de chez elle. Quelques pas plus tard elle a remplacé son sari sobre contre un autre, très mauve, très rose, très flashy, qui fait se retourner sur elle les passantes. Évidemment, elle va à un rendez-vous galant. Le tout premier de son existence. Par amour ? Non ! C'est là qu'on sort des sentiers battus. Le garçon avec lequel elle pénètre dans la chambre d'hôtel, elle le connait à peine. Ils ne savent même pas comment s'effleurer. Aussi maladroits et vierges l'un que l'autre. Gauche, il lui tend un petit cadeau, histoire de briser la glace… Paquet qu'elle n'aura pas le temps d'ouvrir car violemment la Police défonce la porte ! Et ? Vous découvrirez la suite insensée de l'affaire…
Retour au bord du fleuve. De grands brasiers ardents y crépitent perpétuellement. Présents le jour, ils deviennent hypnotiques et inquiétants la nuit. Autour d'eux s'active une kyrielle d'hommes mal vêtus, ce sont les dalits (la plus basse des castes) qui brûlent les défunts, libérant leurs âmes afin qu'elles s'envolent vers leurs nouveaux karmas. Deepak fait partie de ces intouchables. Contrairement à Deli, dont il ignore l'existence, il est rudement amoureux… À chaque fois qu'il aperçoit Shaalu au détour d'une rue, son cœur tintinnabule dans sa poitrine comme un carillon. Ses copains le charrient affectueusement, tout en le mettant en garde : la demoiselle vit dans les quartiers huppés. L'appartenance à deux castes distinctes est plus qu'une barrière sociale, c'est un abîme infranchissable. Chaque espoir nourri par le jeune homme semble condamné à se transformer en illusion déçue. Un jour, malgré tout et n'y tenant plus, il l'aborde. Elle est jolie, intelligente, passionnée de poésie… Il est beau garçon, présente bien de sa personne, étudiant sérieux, ambitieux. Étonnamment elle ne l'envoie pas balader comme elle le devrait, se montrant progressiste. Mais nul ne sait où les mènera cette aventure clandestine…
Didyadhar Pathak quant à lui est un honorable professeur qui s'est tourné vers la religion. Il vit de peu, de la charité des familles pour lesquelles il accomplit les rites funéraires. Un jeune orphelin malicieux lui colle aux sandales et lui sert d'apprenti. Sa vie bascule dans le cauchemar lorsqu'un policier véreux vient le faire chanter en exigeant des sommes astronomiques pour oublier un crime que sa fille aurait commis. Notre homme pieux mais désespéré est prêt à tout pour préserver les apparences…
Voilà les grandes lignes d'une histoire complexe et passionnante où chacun se retrouve englué dans les boues du passé par manque de recul, de connaissance du monde moderne, de ses droits. Un cri d'espoir lancé par une Inde tiraillée qui cherche à s'ouvrir au monde moderne toute en ne faisant pas table rase de son passé. « Masaan » signifie bûcher en Hindi. À se demander si le titre se réfère aux crémations ou au châtiment que des lois archaïques voudraient infliger à celles et ceux qui les transgressent.