Johannes Betzler, alias Jojo, est un enfant timide. Parmi ses camarades de classe, on ne le distingue guère : fluet, il fait pâle figure en comparaison de ses aînés, partis combattre au loin. Alors à l’image de beaucoup d'enfants de son âge, comme lui peu gâtés par la nature, compensant l'absence d'un père appelé sous les drapeaux, Jojo s'invente un ami imaginaire, un ami toujours de bon conseil, plein de sollicitude et d'entrain ; pour trouver un modèle, il n'aura pas à chercher bien loin, puisqu'il s'inspire de son idole, le meilleur ami de tous les petits Allemands blonds aux yeux bleus : Adolf Hitler ! Oui, ça surprend au début, même quand on resitue l'action dans le contexte de l'Allemagne nazie à la fin de la guerre, quand les Alliés commencent à la cerner de toutes parts et que Jojo, élevé dans l'adoration du dictateur depuis son adhésion aux jeunesses hitlériennes, ne rêve que de faire son devoir d'Aryen, à savoir combattre les soldats ennemis, se sacrifier pour la Patrie… et si possible dénoncer des Juifs. C'est là que ça va très vite se compliquer pour Jojo, lorsque, par un concours de circonstances, il va se confronter à ces « démons », et découvrir en autrui (et en lui-même) une humanité qu'il ne soupçonnait pas.
Dire de ce film qu'il danse sur une corde raide est sans aucun doute l'euphémisme de l’année. Narrer sans recul les aventures d'un antisémite fanatique à seules fins d'en rire relèverait de la gageure impossible si le film en restait là. Heureusement Taïka Waititi, réalisateur néo-zélandais né d'un père Maori et d'une mère Juive Ashkénaze, s'émancipe très vite de son postulat de départ, pour nous proposer une réflexion acerbe sur la manipulation, la perversité du monde des adultes, et l'impératif moral de l'ouverture à l'autre.
Toute l'intelligence du parti pris par Waititi tient dans le regard posé sur cette histoire tragi-comique : celle d'une société viciée vue à travers les yeux d'un petit garçon de dix ans ; du coup l'apparition d'un Hitler burlesque et badin fait sens, en ce qu'il est davantage la vision fantasmatique d'un père de substitution que le reflet fidèle du dictateur. Au fur et à mesure que les yeux de Jojo se décillent, le rôle du mentor va s'amenuiser, laissant la place au vrai sujet du film, donc : la manipulation. Celle, massivement destructrice d'adultes lâches et corrompus capables de mentir à des gosses avant de les envoyer au casse-pipe, et celle, plus insidieuse, plus intime, d'un petit garçon terrifié à l'idée de tout perdre et qui reproduit à son tour les mensonges de la propagande à des fins égoïstes.
Passant du rire aux larmes avec un sens des ruptures de ton qui en laisseront plus d'un pantois, Jojo Rabbit ose et réussit haut la main l'impensable : une comédie iconoclaste sur le totalitarisme, qui jamais ne glisse dans la débauche lyrique d'un Tarantino ou la clownerie aseptisée d'un Benigni. L'air de rien, Jojo Rabbit célèbre la liberté de penser, d'aimer et d'exister en dehors de tout système : un bras d'honneur à toutes les entreprises de lavage de cerveau, d'où qu'elles viennent. Et si un film qui commence par une version teutonne d'un tube des Beatles et finit sur un pas de danse esquissé après l'apocalypse ne vous convainc pas qu'il est un hymne à la vie, à l'amour et à la jeunesse, alors rien n'y fera !