CANNES 2017: UN CERTAIN REGARD
Mal de mère
Retour à Un certain regard pour le réalisateur mexicain Michel Franco, qui en a remporté le prix pour Después de Lucía, en 2012, après s’être fait remarquer avec Daniel & Ana, sélectionné par la Quinzaine en 2010 comme auparavant son court métrage Entre dos en 2003. Il a accompli depuis ses débuts en compétition avec Chronic, qui y a reçu le prix du meilleur scénario en 2015. Les Filles d’Avril a pour interprètes principaux l’Espagnole Emma Suárez, actrice fétiche du réalisateur Julio Medem vue dans Vacas, 1992, L’écureuil rouge (1993) et Tierra (1996), Joanna Larequi, remarquée notamment dans La caridad de Marcelino Islas Hernández, et Hernán Mendoza, le père déboussolé de Después de Lucía. Le cinéaste vénézuélien Lorenzo Vigas, Lion d’or à Venise pour Les amants de Caracas (2015), figure parmi les producteurs de ce film consacré aux rapports complexes mère-fille. Version Originale/Condor distribuera le film en France le 28 juillet.
Dans la cuisine d'une maisonnette toute simple au bord de la mer, une jeune femme occupe mollement ses mains en cuisinant vaguement. L'air atone, un peu balourde dans un corps dont elle n'a pas l'air de prendre grand soin, Clara fait mine, comme blasée, de ne pas entendre les gémissements qui proviennent de la chambre d'à côté. On se doutera que c'est une scène familière, des ébats amoureux récurrents qui s'achèvent invariablement en orgasmes désinhibés. La donzelle qui la rejoint, dans son plus simple apparat, juste après s'être fait « sucer la friandise, bricoler la cliquette, gauler la mignardise, explorer le minou… » ne semble nullement incommodée par sa présence. Elle se balade sans complexe, le nombril à l'air d'autant plus saillant qu'elle est enceinte jusqu'aux yeux !
Valeria est joliment gaulée du haut de ses dix sept ans. On comprendra sous peu qu'elle est la sœur de Clara et on ne cessera de s'étonner qu'elles soient si dissemblables. La cadette ouverte à tous vents, épanouie dans son corps, l'aînée comme recroquevillée, perpétuellement mal à l'aise : deux antithèses morales pourtant issues de la même mère, Avril.
Cette dernière, on ne la voit tout d'abord pas, elle ne vit plus au Mexique et Valeria lui a délibérément caché son état, sans doute pour ne pas subir de pressions. Le mouflet qu'elle porte en elle, le fruit de son amour pour Mateo, même s'ils sont tout jeunots et inexpérimentés, ils ont bien envie de le garder et de l'assumer. Avril accueillera pourtant la nouvelle avec une ouverture d’esprit admirable, prête à endosser le rôle d’aïeule moderne, libérale, prévenante, faisant tout pour amadouer le jeune père et sa famille.
La vie pourrait être parfaite, Avril suppléant aux manques des deux trop jeunes parents, aimants mais malhabiles, se refaisant une virginité auprès de la petite chose toute neuve qui naît et que l'on nomme Karen. Les premiers jours après la mise au monde filent ainsi, sans trop d'embûches. Mais insidieusement un glissement s'opère, Avril outrepasse progressivement son statut de grand-mère, flirte avec les limites… Belle malgré les ans qui passent, séductrice, aguicheuse, Avril n’est pas du style à se refuser grand chose : ni un beau rôle, ni un mâle qui passe à sa portée. Elle n’a pas froid aux yeux et l’histoire va basculer de manière toujours plus dérangeante, inquiétante à glacer les sangs…
Mais ne croyez pas qu'Avril (brillamment interprétée par la sublime Emma Suárez) soit une âme toute noire puisqu'elle n'est pas toute blanche. Michel Franco est le cinéaste des zones grises, des zones d'ombre dans lesquelles grouillent des pensées inavouables. C'est ce qui fait tout le piquant de ce film non conventionnel, hors normes, tout comme le sont chacun de ses personnages, changeants, complexes. Chacun a ses côtés lumineux qui font qu'on s'y attache, ainsi que ses côtés ténébreux qui nous les font craindre ou haïr. On se demande constamment jusqu'où ils iront, tenus en haleine de bout en bout par cette plongée dans une atmosphère oppressante et torride.