Nouvelle preuve de la vitalité du cinéma roumain et de sa capacité à interroger notre monde et la manière dont on peut en rendre compte, Bad luck banging commence par une séquence de plusieurs minutes de sextape porno amateur filmée avec un téléphone portable. Sans doute Radu Jude tient-il à nous montrer ces images sans fard et dans leur intégralité car elles sont précisément l’objet du nœud moral à venir. Le couple que l’on voit, c’est Emi, une enseignante en école primaire, et son mari Eugeu qui a laissé la vidéo se retrouver sur un site internet pour adultes. Malgré les efforts d’Emi pour en contenir la diffusion, sa réputation et son poste se retrouvent vite en jeu : les parents d’élèves réclament sa démission. Mais elle n’entend pas céder à la pression, estimant qu’elle n’a rien à se reprocher. Nous voilà donc plongés dans un dilemme détonnant autour de la vie privée à l’ère des images virales et des fausses valeurs morales en circulation.
Pour rendre compte de cette problématique, l’iconoclaste Radu Jude a conçu une structure parfaitement libre en trois parties. Par opposition à la prétendue vulgarité des images initiales, il confronte notre regard à celle de la société roumaine filmée en pleine pandémie, où l’espace public se partage entre consumérisme agressif et manque quasi systématique de considération pour autrui. Il évoque ensuite les casseroles les plus gênantes de l’histoire humaine à travers des images issues de multiples sources (archives, internet, publicité, arts, etc), avant de revenir au présent et aux mésaventures d’Emi, qui culminent dans une sorte de procès populaire d’une mesquinerie et d’une cruauté crasses, jusqu’à une fin particulièrement étonnante.
Radu Jude laisse pleinement le spectateur construire son regard sur les rouages de ce que notre époque peut fabriquer de plus sombre et prescrit l’ironie face à la médiocrité humaine, le discernement face au chaos généralisé et une bonne dose d’autodérision.