Isolé dans un ranch en plein désert Mojave, c’est là qu' Herman Mankiewicz (Gary Oldman impressionnant) le frère de Joseph L. Mankiewicz (La Comtesse aux pieds nus) pas encore cinéaste, est en train d’écrire le scénario de ce qui allait devenir le plus grand film de l’histoire du cinéma, Citizen Kane réalisé par le pas encore prodigieux Orson Welles alors âgé de 24 ans. Cloué au lit avec un plâtre jusqu’à la ceinture suite à un accident de voiture, entouré d’une secrétaire et d’une assistante, Herman Mankiewicz, dit Mank, recevra quelques amis devenus célèbres de cet Hollywood des années 40.
Tout comme Citizen Kane (on sait gré à Fincher qu’il ait résisté à la tentation de faire un pastiche du chef-d’œuvre de Welles ) d’un noir et blanc velouté ponctué de flash-back incessants remontant aux conséquences de la Grande Dépression , c’est toute l’histoire des grands studios hollywoodiens des années 30 que le film raconte. Le scénario écrit par le père de David Fincher et traînant depuis des années sur un bureau du cinéaste est porté à l’écran dans une mise en scène éblouissante. Tous les nababs du Grand Hollywood traversent le film : presse et William Randolph Hearst, le Kane du film d’Orson Welles (interprété par le puissant Charles Dance), des politiciens (on y assiste, en substance, à l’élaboration de fake news de propagande par le studio MGM et son patron Louis B. Mayer (Arliss Howard) en faveur du candidat républicain Frank Merriam contre l’auteur et ancien socialiste Upton Sinclair pour l’élection de Gouverneur de Californie, à la consternation du pourtant caustique Mankiewicz), et puis des producteurs, scénaristes, acteurs et actrices que vous reconnaîtrez aux noms célèbres qui sont devenus par la suite, bref tout l’arsenal de la fabrique à rêves d’Hollywood. Si le film est passionnant de bout en bout il mérite une attention particulière pour le cinéphile lambda, car tout comme le Citizen Kane d’Orson Welles c’est au spectateur de reconstruire la fabuleuse histoire de la machinerie hollywoodienne.
Hélas on peut aussi présumer que Mank fait partie de ces longs métrages qui, à l’instar de Roma, le remarquable film qu’Alfonso Cuarón nous a offert il y a deux ans, doivent idéalement être vus sur grand écran afin que leur nature immersive puisse être vraiment appréciée. Ce privilège ne nous est évidemment pas accessible en ce moment. Il serait temps que les plates-formes et le cinéma apprennent à travailler ensemble afin de ne pas faire fuir toute une génération de cinéphiles pour qui le grand écran reste le meilleur moyen d’apprécier un film pour lequel il est fait.