Au fin fond du Yorkshire… Ici la terre n'en finit plus. Même pas une mer pour l'arrêter. Un paysage d’une beauté nue qui vous vrille l’âme et vous pénètre irrémédiablement. Quelque chose de viscéral, d’organique, qui dépasse l’humain. En même temps que la brume montent du sol les odeurs : celle de l’humus, celle des bêtes, celle des hommes. Chacune semble murmurer « tu es terre et tu retourneras à cette terre », rappelant quotidiennement la fragilité de l’humaine condition.
Mais tout cela Johnny ne le voit pas, ne le ressent pas, ou plus. Son quotidien sur ces terres agricoles le ronge au plus profond parce qu'il ne l’a pas choisi. Tout ce qu’il vit ici, il le subit, ou presque, se sentant prisonnier d’un devoir envers son père, d’un mode de vie ancestral auquel nul n’échappe, sauf ceux qui ont eu la chance, le niveau scolaire, les moyens financiers de partir étudier à la ville. Johnny, lui, est resté englué dans l’étable familiale et si la jolie étudiante qui revient pour les vacances, ne reniant pas leur enfance commune, serait prompte à l’accueillir dans son cercle d’amis, il la repousse avec une dureté excessive. Mais il n’y a là aucune malice, pas de véritable méchanceté. C’est simplement qu’il ne sait pas dire, que personne ne lui a appris à exprimer le moindre sentiment, dans sa famille ça ne se fait pas. Alors sans pouvoir mettre de mots sur ce qui lui arrive, il retourne noyer son mal de vivre dans une première pinte de bière qui ne restera pas orpheline… Et c’est désolant de voir cette belle gueule d’ange brûler ses ailes au lieu de s’en servir. Même si en le suivant pas à pas on comprend bien qu’il n’a pas vraiment d’alternative, surtout depuis qu'un AVC a laissé son père partiellement handicapé.
De retour à la ferme, rien de bon ne l’attend, seulement les sempiternelles remontrances paternelles et les soupes de l’imperturbable grand-mère toujours prête à border, repasser, laver derrières ses hommes qu’elle a toujours servis. Un ordre immuablement établi depuis des générations et qu’il ne vient à l’idée de personne de remettre en question. Johnny essaie de faire de son mieux, de répondre aux attentes du père aigri de se savoir diminué. Mais il suffit de l’attrait du joli petit cul d’un blondinet de hasard pour qu’il s'oublie et laisse en plan les tâches essentielles…
Si bien que, pour prêter la main en période d'agnelage, le père décide d'embaucher un ouvrier agricole. Johnny fait la gueule, d'autant que le saisonnier en question est roumain ! Georghe est un beau brun ténébreux, amoureux de son métier, des animaux, compétent, efficace. Johnny n’a de cesse de le houspiller, de l'humilier, tandis que Georghe l’observe de son regard calme mais sévère, contenant une saine colère. Entre ces deux là qui sont à deux doigts de se sauter à la gorge va pourtant naître une relation que Johnny n'aurait même pas pu imaginer, lui qui découvre presque douloureusement le droit aux sentiments, le droit à la maladresse, le droit d'assumer ce que l'on est vraiment, même dans un milieu qui se tait et ignore.
C’est un film charnel, sensuel, peuplé de naissances (magnifiques scènes d'agnelage), de renaissance… Rien n’est caché, ni la douceur d’une caresse, ni la fougue d'une étreinte, ni les glaires des bêtes, ni la sexualité triste de ceux qui ne l’assument pas, ni la chaleur des cœurs qui recommencent à battre. C’est un film magnifique qu’on n’oubliera pas de si tôt et qui laisse entrevoir l’avènement d’un grand cinéaste.