« En 1953, le cinéaste japonais Yasujiro Ozu réalisait Voyage à Tokyo et montrait l'extrême dignité d'un père. En 2016, un jeune réalisateur chinois semble répondre au maître en nous montrant la grandeur d'une mère chinoise dont la force mérite le plus grand respect. » Wong Kar-Wai
Dans un village de la province de Shandong, à l'est de la Chine, une vieille paysanne fait une chute. Immédiatement ses enfants en profitent pour la déclarer inapte et entreprennent, sans lui demander son avis, de la faire admettre dans un hospice. Mais il faut attendre qu'une place se libère et d'ici là, la grand-mère devra séjourner chez un de ses enfants. En fait elle passe de la maison de l'un à la maison de l'autre puisqu'aucun ne veut la prendre en charge. Elle voyage ainsi de famille en famille, tandis que sa santé décline, tandis que ses rapports avec ses proches se dégradent.
Madame Lin aime pourtant ses enfants, mais elle se sent de trop chez chacun d'eux. Elle ne leur reproche rien, mêmes s'ils la délaissent, même s'ils la traitent mal. Chacun des membres de la famille représente un aspect de l'envers du boom économique : paysans appauvris, petits commerçants qui voient fondre leurs économies, enfants laissés à eux-mêmes par des parents partis tenter leur chance en ville… Les enfants de Madame Lin apparaitront donc sans doute ingrats, voire odieux, mais à vrai dire ils pâtissent de ce nouveau monde libéral et individualiste. La manière dont ils traitent la vieille femme n'est probablement que l'expression de leur désarroi, de la rancœur et de la colère que suscite en eux ce monde qu'ils ne comprennent pas…
Madame Lin quant à elle, le corps usé, le cœur lessivé, murée dans son silence, assiste impuissante aux déchirements familiaux, accepte stoïquement le traitement qui lui est réservé. Jusqu'au jour où elle va réagir de la manière la plus inattendue qui soit : elle se met à rire, à rire franchement, à rire longtemps. Un rire qui d'abord surprend son entourage, puis qui agace, qui décuple le ressentiment et la rage impuissante. Mais surtout qui interroge, qui ouvre un abîme de questions sans réponse…
« Des acteurs, fussent-ils les meilleurs, n’auraient pu jouer le rôle de ces paysans aussi bien que ces paysans eux-mêmes. Aucun chef décorateur ne pouvait rendre compte de l’environnement où ils vivent aussi bien que la réalité même de ces murs défraîchis, de ces froides basses-cours et de ces arrière-boutiques. Les fissures des murs comme les rides du visage de la vieille dame sont réelles, elles témoignent du passage parfois cruel du temps. Mon travail de mise en scène a consisté à faire voir et ressentir cette réalité. J’ai voulu capter le parler si particulier de ces paysans, le chant du coq le matin, les percussions du tambour, le grésillement des radios, et aussi retrouver la lumière brumeuse de l’hiver de la province de Shandong, l’égouttement de l’eau le long des murs, et la démarche d’une femme qui a travaillé la terre toute sa vie.
Mieux que ne le ferait un documentaire, il s’agit, avec l’histoire de cette vieille dame, de raconter des conflits et des drames familiaux universels : ce que chacun rencontre quand il faut s’occuper de ses vieux parents, l’ingratitude des enfants devenus adultes, l’incommunicabilité entre parents et enfants. » Zhang Tao