On pourrait presque croire, depuis la France, que le cinéma québécois s’est restreint en quelques années aux seuls films de Xavier Dolan : « Grave erreur ! », nous dit Genèse, le troisième long métrage de fiction de Philippe Lesage. Venu du documentaire, où il a raflé plusieurs récompenses au Canada entre 2010 et 2012, le cinéaste n’a cessé depuis 2015 de se nourrir du réel qu’il a filmé pour mettre en scène la jeunesse contemporaine.
Narrant le destin croisé de Guillaume et Charlotte, deux adolescents demi-frères et sœurs dont le premier vit à l’internat de son lycée, Genèse tient plus de la chronique désillusionnée que du réel teen movie – dont les clichés habituels sont rapidement évacués au profit de la recherche d’une vérité pure, dépouillée d’effets poseurs ou synthétiques. Genèse est avant tout un film sur l’égarement de la jeunesse et la déception amoureuse qu’incarnent admirablement Théodore Pellerin et Noée Abita (qui irradiait déjà l’écran dans Ava, 2017 de Léa Mysius), deux âmes esseulées qui ne se croiseront d’ailleurs qu’à deux reprises au cours du film, et ce malgré leurs liens fraternels. Entre ces deux convergences succinctes, ils auront eu le temps de vivre deux expériences déceptives, qu’elles soient homosexuelles ou hétérosexuelles, et dont on imagine qu’elles marqueront leur avenir d’adulte.
De ce tourbillon de désir juvénile, les adultes sont d’ailleurs constamment mis en retrait, voire absents : exception faite du professeur de Guillaume, figure d’autorité que le cinéaste ne se privera pas de ridiculiser en se positionnant toujours, et avec une grande bienveillance, du côté des jeunes. Le regard que porte Philippe Lesage sur ses personnages est peut-être ce qui rend le film si exaltant.
Loin de les enfermer dans le cadre, il leur laisse constamment un large espace d’expression : la caméra les accompagne (et non l’inverse) avec une pudeur tangible malgré la grande violence à laquelle ils sont parfois confrontés, et plonge dans leurs regards avec une précision saisissante lors de quelques séquences – et notamment lors d’une bouleversante déclaration d’amour, courageusement prononcée devant une classe entière.
L’exaltation tient aussi de la façon dont le cinéaste libère radicalement la narration à vingt minutes de la fin du film pour s’intéresser aux premières amours de deux adolescents (Félix et Béatrice) encore plus jeunes dans un camp d’été, comme des fragments de souvenirs qu’auraient alors pu rêver Guillaume et Charlotte. Nous rappelant avec une nostalgie certaine nos propres émois, cette seconde partie fait office d’épilogue incandescent et étonnamment salvateur, en opposition à l’âpreté de ce qui s’est joué dans la première partie. Avec ce film purement séminal – dont le titre est par ailleurs très à propos – bercé par la musique entêtante et spleenétique du groupe TOPS, Philippe Lesage démontre que parler d’adolescence n’est ni plus ni moins qu’une affaire de délicatesse.