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Il est des cauchemars rendus pires du fait qu’ils se déroulent en pleine lumière. Implacable, nue, l’épouvante capte le regard, qui dès lors ne peut s’en détourner, tétanisé. Lorsque de jeunes Américains débarquent dans la campagne suédoise afin d’assister à des festivités traditionnelles vantées par un ami, ils ignorent que c’est là ce qui les attend. Sous un soleil radieux, une horreur insidieuse se fait jour, intangible… Un sentiment d’inquiétante étrangeté trop diffus pour justifier qu’on prenne ses jambes à son cou. C’est pourtant ce que devraient faire les protagonistes de Midsommar : solstice d’été (V.F. de Midsommar).
Il s’agit du second long métrage du cinéaste américain Ari Aster. Son premier, Héréditaire (Hereditary), sur une famille en proie à des manifestations occultes, fit à raison forte impression. Aster y déployait un sens aiguisé du suspense reposant sur sa capacité à générer, puis dilater, une angoisse sourde. D’ailleurs, Aster teste ici jusqu’à ses limites ce parti pris de, à défaut d’une meilleure formule, langueur horrifique : en dépit d’une réussite globale indéniable, il est des passages où on le sent se complaire dans ses effets hypnotiques. Momentanément soustrait à la transe, le spectateur a alors tout loisir d’anticiper la tournure des événements. Parlant de violence, il est des scènes où le niveau atteint est inouï, sans toutefois que ce soit gratuit.
Midsommar a beaucoup en commun avec Héréditaire, comme des personnages principaux en butte aux problèmes de santé mentale d’un proche. Après un noyau familial mis à mal, c’est le tour d’une cellule amoureuse (et amicale) d’être attaquée. Plus intéressant : dans les deux films, la menace n’émane pas d’un individu ou d’un monstre, mais d’un groupe souscrivant à des croyances séculaires : sorcellerie pour Héréditaire et religion vaguement druidique pour Midsommar.
Cette œuvre relève d’un sous-genre très précis : le « folk horror » ou, littéralement, horreur folklorique. Il s’agit d’un courant cinématographique d’abord anglo-saxon des années 1960-1970 aux origines littéraires, des auteurs tel M. R. James en ayant jeté les bases dès le début du XXe siècle. La nature en tant que théâtre bucolique d’abominations et le recours à des rites dits païens sont des constantes. La nuit des maléfices (Blood on Satan’s Claw ; 1970), de Piers Haggard, et Le dieu d’osier (The Wicker Man ; 1973), de Robin Hardy, sont des films emblématiques du « folk horror ». Kill List (2011), de Ben Wheatley, et La sorcière (The VVitch ; 2015), de l’Américain Robert Eggers, constituent d’excellents exemples récents.
Si Aster a manifestement étudié le film culte de Hardy, il a à l’évidence vu la minisérie de 1978 The Dark Secret of Harvest Home ou lu le formidable roman l’ayant inspirée : La fête du maïs, de Tom Tryon, sur une commune rurale moins idyllique qu’il n’y paraît. Midsommar lui emprunte ce matriarcat sinistre, et propice en l’occurrence à une lecture et à son contraire.
Ce n’est là qu’un des nombreux points d’arrimage pour une lecture allégorique de Midsommar.
Midsommar ne se borne pas à effrayer : il vient jouer dans la tête. Bref, et sans doute aussi parce qu’on ne peut échapper à sa vue, ce cauchemar-là a le don de s’incruster.
François Lévesque (Le devoir)