Si vous n'êtes pas déjà convaincu, sachez que La Dame de Shanghai est une merveille, un diamant noir qui vous hypnotise à volonté, une toile d'araignée qui vous prend implacablement dans ses fils, tissés de la matière même de vos rêves les plus profonds, de vos sentiments les plus enfouis… La Dame de Shanghai est ce que l'on appelle un film noir – c'est même un chef d'œuvre du genre –, avec crimes, femme fatale, règlements de compte et tutti quanti. Le scénario est embrouillé et met en scène un marin, O'Hara, qui rencontre une femme sublime, Elsa, épouse d'un avocat célèbre et boiteux. L'avocat engage le marin pour le piloter lors d'une croisière sur les côtes mexicaines. C'est au cours de ce périple dans le Pacifique que se concrétise l'amour entre O'Hara et Elsa. Puis O'Hara est embarqué dans une affaire d'escroquerie à l'assurance-vie par un associé de l'avocat boiteux et célèbre. Il accepte cette sale affaire parce qu'il espère ainsi pouvoir fuir avec Elsa. Fou qu'il est… Il vient de mettre le doigt dans l'engrenage de la tromperie et du mensonge. La comédie des masques peut commencer… Un film noir réalisé par Orson Welles, c'est grandiose. C'est une plongée vertigineuse dans l'âme humaine (souvenez-vous de La Soif du mal), c'est une réflexion hallucinante sur la vérité et les apparences, c'est une tragédie morale aux implications insoupçonnables. La Dame de Shangaï, c'est aussi les cheveux courts, teints en blond platine, de Rita Hayworth (qui était alors l'épouse de Welles ; le couple se sépara peu après : voyez la fin du film, elle est forcément prophétique…). Une figure de femme immédiatement haïssable, immensément désirable : le trouble à l'état pur.
La Dame de Shanghai, c'est quelques scènes d'anthologie : le baiser devant un aquarium peuplé de poissons monstrueux, la fuite dans le quartier chinois et la dégringolade, par un toboggan, dans le palais des glaces, théâtre d'un dénouement fulgurant que vous n'oublierez jamais.