QUINZAINE DES RÉALISATEURS 2016
Retour au néoréalisme
À la fois réalisateur, scénariste et compositeur, Claudio Giovannesi signe avec Fiore son troisième film. De l’écriture à la réalisation, Fiore repose sur une démarche passant par la confrontation avec une réalité, parfois très crue, et sa transformation en une dramaturgie la plus vraisemblable possible, mais qui ne soit pas du documentaire. “Pour cela, les scénaristes et moi-même avons passé six mois à Casal del Marmo, le centre de détention pour mineurs de Rome. Nous avons impliqué les jeunes détenus dans une série d’ateliers afin d’écrire le scénario au sein de la prison en nous inspirant de leur vécu”. Claudio Giovanne si rencontre celle qui deviendra son actrice principale, Daphne Scoccia, dans un restaurant où elle travaille comme serveuse. “Elle n’avait jamais joué auparavant mais son visage nous a frappés. Ensuite, nous avons découvert qu’elle avait beaucoup de points communs avec son personnage.” Les autres protagonistes seront joués par des acteurs non professionnels, pour la plupart des anciens détenus, certains encore en période de probation. “La plus grande difficulté du tournage est venue du fait que Daphne était de toutes les scènes et tournait chaque jour. Il lui a été parfois très difficile de trouver un point d’équilibre entre ses émotions personnelles et ce qu’exigeait son rôle. Par moments, le fait qu’elle puisse avoir de vraies sautes d’humeur nous obligeait à multiplier les prises. Il m’est arrivé d’en faire 30 pour un seul plan”. Parmi les autres difficultés, le fait de devoir gérer constamment une trentaine d’adolescents “fragiles”. “Les faire se lever tôt le matin, les garder ensuite actifs et concentrés sur le plateau, parfois dix heures de suite, a été un défi permanent.”
Il est des enfances cabossées qui, le temps passant, se transforment en rage. Une rage qui déborde et qui, faute d’un cadre bienveillant, fait faire un peu plus que les simples petites bêtises qui jalonnent le parcours des jeunes gens. On sait que l'adolescence est un âge particulièrement cinématographique : ce mo- ment où tout semble se jouer, où tout peut se gagner mais tout aussi bien se perdre, les repères comme les garde-fous, l’innocence de l’enfance comme les rêves qui sont nés avec.
Claudio Giovannesi prend le temps, avec une pudeur extrême, d'explorer cet immense champ de tous les possibles et de tous les dangers et parvient ainsi à faire ressentir les mécanismes secrets et imprévisibles de cette parenthèse si particulière. Une parenthèse sans cesse traversée par une folle envie de se jeter dans le vide, pour le plaisir de la sensation, pour l’interdit, mais aussi pour se prouver que l’on est immortel.
Daphné est une jeune fille un peu paumée, frêle et jolie, un minois de chat sauvage qui cache sous sa douceur un bouillonnement incandescent, celui de l’urgence de vivre ou plutôt de survivre, d’exister, de s’en sortir, quel que soit le prix à payer. Son truc, c'est le vol à la tire. Dans le métro, elle colle une lame sur la gorge de ses victimes, femmes ou hommes, avant de les délester de leur téléphone portable, pour le revendre et se faire les quelques euros qui lui permettront de tenir jusqu'au lendemain. Arrive l'inévitable, une arrestation suivie d'une peine d'enfermement dans un centre pour délinquants, des jeunes aussi perdus qu’elle, certains un peu plus rudes ou violents, d’autres plus calmes...
Et parce qu'il faut bien croire en quelque chose, qu’il faut bien se raccrocher à une utopie, une étincelle, un élan de tendresse, un semblant de liberté, Daphné tombe amoureuse d'un autre détenu qu'elle aperçoit par la fenêtre de sa cellule. Josh est mignon, tatoué, romantique et à fleur de peau, comme elle. Est-ce de l'amour ? De la faiblesse ? Une simple manière de passer le temps ? Une illusion ? Un peu de tout ça, mais c'est aussi, c'est surtout l'unique lueur au cœur de leurs ténèbres.
Le film déroule sa chronique mélancolique sur le fond neutre à pleurer de cet univers carcéral, sans jamais en rajouter. Pas de gardiennes ou de codétenues sadiques, pas de maltraitance, pas l'ombre d'une hystérie mais un bloc d'indifférence, solide et froid, où se débattre de désespoir ne sert à rien. En personnage périphérique, le père de Daphné fait ce qu'il peut. Lui même ancien dé- tenu, l'aide qu'il apporte à sa fille est dérisoire. Reste alors, pour ces enfants perdus, une terrible alternative : rentrer dans le rang, être sage avant même d'avoir vraiment goûter à la vie, ou alors basculer dans l'interdit, ne serait-ce que pour quelques jours, quelques minutes de liberté. Ont-ils vraiment le choix ?