Elle est d'une beauté particulière. On ne sait même pas dire si elle est vraiment belle, mais ce qui est sûr c'est qu'elle accroche le regard et le retient, probablement parce qu'émane d'elle un charme singulier, une sorte de présence intense et vaguement mélancolique qui interpelle : on sait d'emblée qu'elle n'est pas banale. Marina chante dans un bar, là encore sans qu'on sache pourquoi on est sensible à cette voix un poil imparfaite et pourtant superbe. Un homme, la cinquantaine, d'une belle élégance avec ses lunettes et ses cheveux grisonnants, s'approche, un verre à la main, pour l'écouter. On comprend vite quand leurs regards s'accrochent que ces deux-là ne sont pas des inconnus l'un pour l'autre. Il l'attend. C'est l'anniversaire de Marina et dans le resto asiatique où elle souffle les bougies de ses vingt sept ans, la promesse d'un séjour de rêve vaut déclaration d'amour : il s'appelle Orlando, a sans doute eu une vie avant elle et a largué les amarres, emporté par des sentiments dont le tumulte n'a rien à envier à celui des chutes vertigineuses où il a prévu de l'emmener en guise de cadeau. Et puis la vie…
Que se passe-t-il quand ce qui devait rester secret éclate au grand jour par l'effet d'un accident de cette foutue vie et confronte l'amante à l'épouse délaissée qui n'a jamais compris, jamais accepté le choix atypique de son mari, pas plus que l'un des fils et ses proches qui réagissent avec haine devant cet amour hors norme ? Une réaction tellement violente qu'on se demande si Marina ne sert pas de révélateur à leur part d'ombre, à des désirs inavoués. C'est qu'elle est bien convenable, la famille d'Orlando, et elle ne digère pas qu'il ait ainsi tout bousculé pour une Marina qui représente tout ce qu'ils rejettent, les perturbe, leur fait horreur. Que se passe-t-il quand on meurt dans les bras de la mauvaise personne et que tous s'acharnent à considérer cet amour comme une perversion inacceptable et vous empêchent d'approcher de l'être aimé une dernière fois, vous soupçonnant du pire sans considération pour votre chagrin, vous jetant en pâture aux enquêteurs juste pour avoir été là au mauvais moment et n'avoir pas le bon profil ? Les enquêteurs eux-mêmes ne sont pas très clairs dans leur attitude, bourrés de préjugés, d'idées précuites…
Elle est forte Marina, elle est libre Marina et rien ni personne ne saurait lui dicter sa conduite, ne saurait l'empêcher de vivre sa vie de femme, celle qu'elle a choisi : « on ne naît pas femme, on le devient », l'identité n'est pas liée à la chair. Rien n'est figé et personne n'est condamné à vivre dans ses formes… revendique Marina qui plie mais ne rompt pas. Parfois elle cherche refuge chez son vieux professeur de chant, un type touchant en diable, humain, gentil, bon prof : on en a la démonstration lors du final, quand Marina se produit sur scène, formidable aussi dans son rôle de soliste baroque avec ce petit je ne sais quoi dans la voix qui la rend tellement émouvante et on comprend à l'écouter combien l'amour de la beauté comme l'amour de la vie lui permettent de s'élever au delà des petites saloperies de ses congénères.
Una mujer fantástica ! dit le titre original. Et quand on fouille un peu par ci par là sur internet, on peut trouver des interview de l'actrice parlant d'elle-même et de ses engagements : allez donc voir si vous entendez l'espagnol, ça vaut le détour : Daniela Vega… elle est chanteuse dans la vraie vie. Son réalisateur est intarissable sur sa personnalité : « à la fois très politique et très légère, d'une immense énergie, beaucoup d'intelligence et d'humour ». Elle était associée au projet du film en tant que consultante « c'est quand j'ai fini le scénario que j'ai compris que mon héroïne, c'était elle ». C'est son premier très grand rôle et il paraît que sa personnalité a fait sensation à Berlin où ce splendide film a décroché un Ours d'argent et plusieurs nominations.