L'histoire se passe à notre époque. Mariana Marin, metteur en scène de théâtre, travaille d'arrache-pied sur une reconstitution complexe du massacre d'Odessa, survenu en 1941, quand le chef de l'armée roumaine, Ion Antonescu, a ordonné l'exécution de civils juifs suite à une attaque surprise portée contre ses troupes. Des milliers d'innocents sont morts ce jour-là, et Mariana voudrait rejouer les événement sur une place, au centre de Bucarest.
Elle doit vitre faire face à des obstacles inattendus et ridicules, car ses acteurs amateurs comme les représentants de la ville ont des avis très tranchés non seulement sur ce qui s'est passé, mais aussi sur la manière dont les événements devraient être mis en scène et présentés au peuple…
Mariana Marin veut faire entendre une voix dissonante face à l’Histoire officielle, brodée de figures héroïques nationales, qui se déploie des sphères politiques à l’homme de la rue en discours stéréotypés, en phrases toutes faites, en citations ressassées qui fonctionnent comme autant de prêt-à-penser qui bâtissent « l’identité nationale roumaine ».
Elle se heurte à différentes figures. Il y a d’abord les figurants-acteurs, nombreux, qu’elle doit diriger telle une armée et dont une partie est prompte à la rébellion sous prétexte d’une mise en scène anti-roumaine. Il y a Constantin Movila, le financeur public, censeur malgré lui car tenu d’imposer un spectacle à la gloire de la nation. Entre ces hommes et Mariana, le dialogue ne se rompt pourtant jamais à la force d’un humour tragique et du goût de l'échange coûte que coûte. Pour ne pas céder, Mariana s’appuie sur les livres qui peuplent son appartement, sur les mots des historiens, philosophes, poètes, écrivains. Surtout les historiens qui rappellent que la Roumanie, alliée de l’Allemagne dans les premières années de la guerre, dépassait les attentes d’Hitler dans son enthousiasme à mettre en œuvre la solution finale. « Foutus gens cultivés », dira le financeur public. Car le vrai savoir est toujours un coup porté à la béatitude des foules…
Mariana avance à contre sens et sans aucune garantie. Affrontant la solitude. Celle de l’artiste. Celle de la femme… Peut-on éduquer le peuple pour que « plus jamais ça » ? Non, répond Mariana, qui n’est pas dans un rapport lénifiant à une vérité révélée mais qui veut juste ouvrir une brèche dans le sens commun pour espérer d’autres horizons que ceux de l’aveuglement identitaire.
Le spectacle de Mariana est une mise en abyme du film de Radu Jude : Une œuvre, par ses artifices, peut-elle énoncer quelque chose de vrai et le donner à entendre à ceux qui n’en veulent rien savoir ?
Et nous ? Avec quels prêt-à-penser regardons-nous le monde ? Quel long travail acceptons-nous d’accomplir pour ne pas céder à l’ivresse de la masse et tenter de penser en dehors des sentiers battus et du confortable consensus ? Penser et se parler encore, au-delà des incompréhensions radicales, sans céder au goût du meurtre. (R.M. Volle, Maître de conférence en Sciences du langage à l'Université Paul Valéry Montpellier III)
Le titre : « Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares » est une phrase prononcée par Mihai Antonescu, vice-président du Conseil du Royaume de Roumanie, au Conseil des Ministres en juillet 1941, dans une intervention lors de laquelle il proposait « l’affranchissement ethnique » et « la purification de notre peuple », tout en justifiant idéologiquement le carnage qui sera mené à bien par l’armée roumaine à Odessa à l’automne de la même année.