« Ce film est basé sur trois histoires vraies et beaucoup de fantaisie »… Ainsi débute un film baroque qui tangue entre guerre, paix… et amour. Un film débordant de vie, de fantaisie, où les animaux sont intelligents et interviennent dans la vie des hommes.
Kusturica, qui tient pour la première fois le rôle principal dans un de ses films, y est un laitier qui traverse chaque jour une guerre furieuse et absurde pour livrer sa production à un camp militaire, déjouant les tirs de balles et de mortiers tout au long d'une route serpentant à flanc de montagne, et devra sa vie à un serpent qui aime se baigner dans le lait… Dans le village de paysans où il remplit ses bidons, un village perché sur la colline et cerné par les combats qui n'empêchent pas la vie de se poursuivre au quotidien, une belle Italienne se cache pour échapper à un général anglais jaloux en quête de vengeance.
Quand Monica Bellucci apparaît à l'écran, elle regarde un film qui la fait pleurer : Quand passent les cigognes (du soviétique Kalatozov, Palme d'or en 1957) un des plus beaux mélos réalisés sur l'absurdité de la guerre. Avec sa larme au coin de l'œil, elle est d'emblée émouvante : elle a beaucoup vécu, certainement des choses terribles mais elle n'en est que plus belle, d'une maturité vulnérable et forte à la fois. L'incandescence de l'histoire d'amour entre le laitier trompe-la-mort à la carrure imposante, familier des faucons et des serpents, et cette paysanne improvisée à la beauté pleine et mélancolique, domine vite un film où la musique donne encore plus d'ampleur à des paysages grandioses, à des sentiments déchaînés… Malgré le contexte agité, si l'amour s'impose dès le premier regard entre Kosta et Nevesta, c'est que leur passé tourmenté rend plus intense encore leur attachement à la vie. Continuer à croire au miracles… le film ne fait que ça et la troisième histoire vraie qui a inspiré le film est celle d'un homme qui a trouvé la liberté en Bosnie en dirigeant un troupeau de moutons à travers un champ de mines.
Les situations sont surréalistes, saugrenues, poétiques : on voit un homme rapporter son oreille arrachée à sa femme pour qu'elle la lui recouse, une pendule géante qui blesse ceux qui essaient de la réparer, des oies immaculées se baignent dans une baignoire de sang et le faucon perché sur l'épaule de Kosta a le pouvoir de déclencher les orages… Les images sont somptueuses et Kusturica prétend que c'est la dernière fois qu'il parle de la guerre et jure que désormais ses films seront voués à l'amour, à la vie – quand bien même le monde ne cesserait d'être en guerre. Et c'est bien l'amour qui domine ce film là : d'ores et déjà, les sentiments humains l'intéressent plus que les prouesses guerrières.
Cascades, ciels immenses, montagnes verdoyantes, fêtes, mariages, délires et moments de douceur sensuelle alternent, magiques, sur cette route du lait où la musique dit tout ce que les paroles ne savent pas dire : mélange de nostalgie et de gaieté, de paix et de violence, de brutalité et de tendresse, de féerie tragique. Les âmes déchirées par des histoires tourmentées rêvent ici d'un Eden pacifié, d'un paradis perdu enfin trouvé…