« J’en ai marre du social ! » : paroles d’éduc et pas d’un fan du néolibéralisme ! Le ton es donné : celui de l’autodérision, du rire libérateur, essentiel pour garder la tête haute, reprendre son souffle. D’une sincérité désarmante, Placés emporte tout sur son passage. C’est un premier film qui a tant à dire, à défendre… et qui le fait avec la grâce du recul et de l’humour, à l’instar de ses protagonistes, ados et adultes. On sent d’emblée que c’est du vécu. De fait le réalisateur a puisé sa matière dans les dix années qu’ils a passées, en tant qu’éducateur spécialisé, auprès des jeunes « placés » dans une MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social, tout un programme). Dans cette fiction, il est question de ses collègues, des gosses qui ont tant bousculé sa vie, de ses potes qui, encore à l’heure actuelle alors qu’il fait carrière au cinéma, lui demandent chaque week-end, le plus sérieusement du monde, de réfléchir à postuler comme eux à la RATP !
Nessim Chikhaoui, reprenant une citation de Confucius, dit que comme tout homme il a deux existences, qu’il a entamé la seconde en commençant une carrière au cinéma, après avoir quitté à bout de souffle son travail d’éducateur, sa « première vie »… Mais dans le fond… N’est-ce pas la même qui continue, qu’il ne trahit pas, et qui lui permet de signer – après avoir été le co-scénariste de grosses comédies qu’on ne programme pas à Utopia – ce premier film en forme d’hommage à tous ceux et celles qui essaient de réparer les dégâts qu’engendrent toutes les sortes de misères…
Ils sont fiers, les parents d’Elias, le héros du film, alter ego du réalisateur. Fiers que leur fils se présente au prestigieux concours d’entrée à Sciences Po. Alors quand il se retrouve bêtement interdit de concours parce qu’il a oublié sa pièce d’identité (acte manqué ?)… il ne le leur avouera pas, pour ne pas les inquiéter. Reste à trouver un job temporaire en attendant de repasser le concours. Bouche-à-oreille, les copains conseillent… devinez quoi ? C’est donc de justesse qu’Elias va échapper à la RATP, grâce à Adama, un beau gars grave et pondéré qui l’invite à venir faire un essai dans le foyer où il travaille… Les autres copains se foutent de lui : quoi ? Préférer les « cassos » (cas sociaux) à la RATP !
Une Maison d’Enfant à Caractère Social, Élias ne savait pas que c’était ça. Les « cassos », il ne savait pas qu’ils étaient comme ça : ces jeunes vibrants, qui vous testent, répondent avec mordant, désireux d’en découdre. Samir, Emma, François, Laura… Impossible de ne pas s’attacher, vous verrez… Chaque histoire est unique mais tous ont la jovialité des désespérés, des écorchés d’une vie dont ils ont trop tôt connu les rouages merdiques. Et oui, ils ne sont pas toujours polis et ne seront jamais lisses et cachent leurs sentiments derrière la rigolade et les provocations. Il est difficile de leur apprendre à ne plus claquer les portes. Plus difficile encore de ne pas se laisser emporter par l’envie d’en faire autant. Se joue ici un si fragile équilibre. La violence… c’est parfois la seule compagne de route à ne les avoir jamais abandonnés. Alors on danse, on se marre, on écoute, on ébauche un cadre rassurant, on essaie de reconstruire patiemment la confiance perdue. On essaie de rêver dans un monde ou les seules perspectives d’avenir semblent être – mis à part la RATP évidemment – le tapin, le deal, la téléréalité…
Les acteurs et actrices ? Tous sont justes… La vérité de leur jeu porte haut et fort, sans pathos, la parole de gosses qui ont besoin de mains tendues, l’urgence, là encore, de défendre et de renforcer le service public.
C’est vivifiant, drôle, poignant, un antidote à la bêtise qui ne se repaît que de clichés et de raccourcis… Et cela nous rappelle que les seules batailles qu’on est certain de perdre, ce sont celles qu’on ne mène pas.