Les noces barbares
Noces… Oubliez vite les roucoulades, les romances sucrées, les valses interminables… Et dites-vous que s’il y a une pièce montée, ce n’est pas celle à laquelle vous vous attendez. L’ouverture du film annonce la couleur : un panneau rouge sang, un silence lourd comme un repas de fête difficile à digérer… Puis apparaissent sur l’écran les grands yeux noirs de Zahira, son port de tête impérial, ce drôle de grain de beauté au milieu du nez. Que pourrait-il bien lui arriver de terrible, à celle-là ?
Zahira, belgo-pakistanaise de dix-huit ans, mène une vie de prime abord ordinaire, court à tout allure quand il s’agit de ne pas arriver en retard au lycée, se tord de rire avec son amie Aurore, glisse des sourires aimants à sa famille, rencontre secrètement son jules, danse sur les musiques effrénées des boîtes de nuit, le tout cadencé par les rituels chers à sa foi religieuse. Son grand frère Amir, l’un de ses plus proches confidents, l’accompagne dans ses moments de doute. Un quotidien aux antipodes d’une tragédie grecque, en somme.
Jusqu'au jour où l’honneur vient mettre sa petite pointe de sel dans l’affaire, ce à quoi Sénèque répondrait dans son exquise toge d’ouate opaline : « L’honneur interdit des actes que la loi tolère ». Voilà, c’est dit : tout déraille. Et sans crier gare, cette Zahira libre comme l’air se retrouve face au dilemme imposé par sa famille : accepter le mariage traditionnel qui lui pend au nez ou ne plus faire partie de leur communauté, tant son refus serait à l’origine d’une turpitude irrémissible. Parfois révoltée (parce que sa conscience lui dit de ne pas plier en deux sa liberté), parfois résignée (parce que l’amour profond et partagé qu’elle a pour sa famille lui assène de se plier en quatre pour elle), Zahira avance péniblement, tâtonne, teste les limites de chacun, à commencer par les siennes. Elle fuit, revient, repart. Sa grande sœur Hina finira par lui dire : « Il ne faut se révolter que si nous avons la possibilité d’agir ». Un écho désenchanté à cette phrase du Noces de Camus : « Et vivre, c’est ne pas se résigner ».
Ce très joli film du réalisateur belge Stephan Streker a le mérite de questionner les raisons de chacun en échappant aux pièges d’un manichéisme qui aurait été de trop. Les acteurs y sont mesurés, touchants, à commencer par Lina El Arabi qui domine le film de sa prestance de grande tragédienne, suivie de près par un Olivier Gourmet aux apparitions bienveillantes qui, cela ne nous surprend plus vraiment, se montre d’une justesse impeccable.