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Party Girl chez les pêcheurs
Les festivals de Venise, Namur, la Roche sur Yon… ont tous primé ce film exceptionnel et on espère bien que ce n'est qu'un commencement tellement il le mérite ! Samuel Collardey nous offre un film absolument magnifique, qui n'a besoin d'aucun artifice pour vous bouleverser et sonder l'âme humaine. Premières images saisissantes… Éléments déchaînés… Nous voilà perdus au milieu de l'océan, brinquebalés par une somptueuse tempête, écartelés entre admiration et peur au ventre face à la beauté, à la force de la nature. Dans cette première scène magistrale, tout est dit. L'excitation puissante en même temps que le sentiment de vulnérabilité qui transpercent ceux qui vivent de tels instants. Après cela, infranchissables semblent les abysses séparant le monde des terriens et celui des marins, qui coexistent pourtant sur la même planète. Combien revenir sur le plancher des vaches, malgré toutes les attaches qu'on y a, doit paraître fade ! Quels charmes terrestres pourraient rivaliser avec les envoûtements impérieux de la mer ? Dom ne cherche même pas à y résister. Ce beau trentenaire, forgé par des années de pêche en haute mer, n'imagine pas faire autre chose de sa vie, il s'en sait d'ailleurs complètement incapable. S'il ne parle pas de passion, il la vit au quotidien. Les vagues le bercent autant qu'elles le bousculent, le protègent. Des années d'embarquement l'ont préservé de devenir une de ces grandes personnes insipides, pour le meilleur et pour le pire. Peut-être le peu de jours qu'il passe sur terre sont-ils insuffisants pour apprendre à décoder le monde de ceux qui y restent constamment. Chaque fois que Dom revient sur l'Île d'Yeu, où il réside, il semble tanguer entre l'état d'adulte et celui de l'éternel gamin qui, vingt années auparavant, prit pour la première fois le large. Mais voilà… à trente-six ans, il n'est plus le seul adolescent de la famille qu'il a essayé de fonder. Dans le petit pavillon qu'il n'a jamais le temps de retaper, l'attendent toujours impatients ses deux gosses, dont il a la garde, Matteo et Mailys. À voir leurs retrouvailles on a plus l'impression que c'est une fratrie qui se reconstitue qu'un père qui reprend son rôle en main. Elles sont certes vivifiantes, leurs taquineries, leurs batailles qui dévastent l'appartement, mais elles ne laissent que peu de place et de temps à l'écoute, à la communication dont ils auraient tous besoin. Dom se trompe lourdement en croyant sa progéniture suffisamment armée pour affronter les écueils qui se présentent à elle. Il la pense toujours sagement rangée dans les petites cases prévues à cet effet. Matteo enfilant comme les générations précédentes la panoplie de marin, Mailys se satisfaisant du rôle de fille docile. Il a beau les aimer intensément, il est aveugle aux tempêtes qui s'agitent sous leurs crânes au sortir de leur enfance houleuse. Et lorsque Dom fait défaut à Mailys dans un moment crucial pour elle, cela va être comme un véritable tsunami affectif qui laissera des traces indélébiles dans sa vie comme dans leur relation… En filigrane ? Un contexte social peu réjouissant, où la crise qui guette les pêcheurs se révèlera plus vorace que les plus féroces requins et où aucun banquier, aucun syndicat ne mouille sa chemise pour les aider à surnager… On ne peut terminer sans préciser que, pour chacun des acteurs principaux, justes, exceptionnels, charismatiques, c'est un premier passage à l'écran. On en ressort complètement bluffé, à tel point que deux grands festivals prestigieux n'ont pas hésité à décerner à Dominique Leborne leur grand prix d'interprétation masculine. Et ils ont eu bien raison ! C'est qu'avec une grande et humble simplicité, il a offert sa propre histoire à Samuel Collardey, qui respecte et filme ses personnages de manière admirable, magnifiant cette humanité vibrante à laquelle nous appartenons tous.