À l’origine, Chungking Express devait raconter trois histoires : celle de la femme à la perruque blonde, celle de la femme brune et celle du tueur. Wong Kar-wai choisit, afin de réduire la durée du film, de retirer l’histoire du tueur qui devient ici le point de départ des Anges déchus.
À l’image du précédent film, Les Anges déchus a une structure narrative éclatée, où les histoires parallèles finissent par s’entrecroiser. Le cinéaste filme des êtres désenchantés, isolés chacun dans sa bulle au milieu d’une ville grouillante et saisit la désintégration des liens humains. Plus qu’il ne conte une histoire, il capte des moments, des instants, le baroud d’honneur de personnages inadaptés.
Wong Kar-wai pousse plus loin encore sa recherche visuelle et graphique et joue avec le temps : mouvements décomposés, accélérés ou ralentis, objectif grand angle, déformation, montage cut… Avec des images qui semblent issues de caméra de surveillance et des espaces confinés, l’ambiance est claustrophobique et l’atmosphère oppressante. La mise en scène de Wong Kar-wai semble être son seul vocabulaire.
Les Anges déchus est un film mystérieux, excitant, poignant, particulièrement ambitieux et d’une extrême modernité. Une fantasmagorie macabre à la beauté mélancolique.
« Le ralenti ou l’extrême accélération, la décomposition des mouvements, le recours aux forts contrastes lumineux participent ici d’une chorégraphie très concertée sous les apparences d’une grande liberté, porteuse d’une impressionnante énergie. Ces procédés ne visent pas à une sorte de hold-up sensoriels immédiats sur lesquels fonctionnent tous les petits artificiers de l’imagerie à l’esbroufe. Ils relèvent d’une conception d’ensemble où ils entrent en résonance avec une richesse subtile et sensorielle. » (Jean-Michel Frodon, Le Monde, 6 mars 1997)