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Les récits des faussaires sont aussi vrais que leurs œuvres
C'est l'histoire d'un mec qui a réussi à foutre en l'air tout un système. Ce système, c'est le marché de l'art et ses cotations qui valorisent les artistes et leurs œuvres. Ce mec, c'est Guy Ribes, 67 ans, peintre de talent, faussaire génial. Pendant 30 ans (seulement 30 ans ?), il a inondé le marché de l'art avec des œuvres authentifiées par des experts comme autant de Matisse, de Picasso, de Chagall… Son truc à lui, ce n'est pas de copier, c'est de s'inspirer et de créer de manière suffisamment semblable pour infiltrer le marché et faire authentifier ses toiles commes étant celles de grands maîtres : on peut citer encore Modigliani, Renoir, Dali… et combien d'autres ? Mais comme il le dit lui-même : « Une vraie réussite, elle ne ressort pas, elle n'est jamais découverte. »
Combien d'œuvres de Guy Ribes sont encore dans « le circuit » ? Ce doute qu'il parvient à immiscer est réjouissant. On partage sa jubilation lorsqu'il feuillette un catalogue reconnu par le milieu (valant presque certificat) et qu'il affirme sans complexe : « Là-dedans, il y en a bien une quarantaine qui sont de moi ! ».
Plus on l'entend parler, plus le personnage est attachant, et plus on a envie de le comparer à un Robin des Bois des temps modernes. Parce qu'il faut bien avouer que ces gens qui se font rouler dans la farine n'ont rien de la veuve et de l'orphelin, et que de notre petite place, on a bien envie de se dire que si le but est de décorer son bureau ou son salon, le talent de Guy Ribes vaut bien celui de Fernand Léger (surtout si même les brillants experts n'y voient que du feu !). Par contre ce Robin des bois-là a pris aux riches mais pas nécessairement pour donner aux pauvres, disons qu'il en a profité et qu'il a bien vécu avant de se faire mettre le grappin dessus par la justice française. Il a donc été jugé pour tout ça, ce qui lui permet aujourd'hui de nous raconter comme à des bons copains ses aventures et ses manigances.
Il sait raconter ses histoires et c'est passionnant ! Jean-Luc Leon et son compère Jean-Baptiste Péretié sont allés interroger le procureur, le policier qui l'a arrêté, l'expert judiciaire : tous ceux-là apparaissent un peu fades face à la faconde de Guy Ribes. Cette fascination du réalisateur pour son sujet est communicative. Quel personnage ! On en vient parfois à douter : c'est vrai qu'un type qui a réussi à duper tout son monde pendant autant d'années serait capable de nous faire avaler pas mal de couleuvres… Comment démêler le vrai du faux dans tout ce qu'il nous raconte ? Cette interrogation permanente fait partie du plaisir, intense, qu'on ressent à écouter ces histoires qui bousculent l'ordre établi, contées avec avec un franc parler et un humour revigorants.
Ce qu'on retient au final, c'est que le marché de l'art n'a rien à voir avec la peinture, c'est que le talent n'est pas toujours reconnu à sa juste valeur (celui de Guy Ribes a été récompensé par une peine de prison…), c'est que le film nous aura montré un artiste à l'œuvre : un vrai faussaire, un vrai peintre aussi.