« La corruption politique en Espagne – et surtout, la totale impunité de ses leaders depuis une dizaine d’années – nous a laissés, ma co-scénariste Isabel Peña et moi, d’abord perplexes, indignés puis déprimés, et enfin presque anesthésiés. C’est la répétition des affaires de corruption de ces dernières années qui nous a décidés à raconter cette histoire. Comme dans Que Dios nos perdone, nous voulions faire un thriller, un film à suspense qui accroche le spectateur mais qui parle aussi des êtres humains et de leur noirceur. »
Le royaume (el reino) est donc celui, peu reluisant mais palpitant, du dessous des cartes, des magouilles politicardes. L’idée de génie du film est de ne pas aborder son sujet de façon classique et de choisir comme protagoniste principal celui qui a tout pour être un anti-héros, d’adopter son angle de vue, de le marquer constamment à la culotte. Au fur et à mesure que son univers s’effondre, on est pris par la tension d’une fuite en avant de plus en plus vertigineuse qui s’accélère inexorablement. L’excellente bande son (musique d’Olivier Arson), omniprésente, contribue à électriser l’atmosphère, à nous clouer à nos sièges. Le travail de l’image (signé Alex de Pablo), tout aussi brillant, renforce encore le sentiment de malaise, nous propulsant d’un univers clinquant à celui, introverti, du protagoniste qui perd progressivement pied. On colle à son rythme : analyser, réfléchir, réagir toujours plus vite… Comme lui on finit par ne plus respirer, pris dans un étau entre ce qui pourrait être la réalité ou le fruit de son imagination. On est entraîné par un tel tourbillon qu’on finirait presque par avoir de l’empathie pour ce pourri qui nous hérisse pourtant. Par ressentir dans nos chairs, plus que par comprendre, pourquoi des mecs pourtant intelligents, quand ils sont pris la main dans le sac, s’enferrent contre toute évidence à mentir… Si cela se passe en Espagne, je vous jure « les yeux dans les yeux » que cela nous rappellera furieusement quelques scandales à la française ! L’action démarre dans un restaurant de luxe, autour d’un plateau de fruits de mer débordant de gambas plus énormes et plus rouges que partout ailleurs. Ici l’herbe est plus verte que partout ailleurs ! On ingurgite goguenards et sans s’extasier les vins millésimés, la cuisine fine, on se gausse, on critique les absents, on trame des complots avec des airs entendus. Il nous faut un moment pour comprendre qu’on est dans la cour des grands, des puissants de ce monde, parmi lesquels une seule et unique femme. Tellement sûrs d’eux, de leur impunité éternellement acquise qu’ils en finissent par oublier d’être discrets. C’est à l’heure du digestif, quand sort de l’ombre un petit carnet où sont alignés les comptes occultes de campagne, qu’on sait définitivement qu’on est dans une grande famille politique. Laquelle ? Ce ne sera jamais dit… Les scénaristes ont pris soin de doter le parti fictif du film des mêmes caractéristiques que les formations politiques qui s’affrontaient en Espagne en 2007, année où se situe l’action.
Pour Manuel López-Vidal (Antonio de la Torre, juste parfait !), l’un des cadors de la petite bande plus habituée aux yachts qu’au métro, l’avenir s'annonce radieux. C’est au moment où il est sur le point de satisfaire son ambition galopante, de passer à la direction nationale, qu’un bon gros scandale dévoilé par la presse va éclater : malversations, corruption, compte d’initiés… Alors qu’ils nageaient tous dans les mêmes eaux glauques et profondes, Manuel va vite comprendre que c'est sur lui seul que la nasse risque de se refermer. Ses alliés de jadis auront tôt fait de charger sa barque pour se défausser et ne pas sombrer avec lui. Mais notre bouc émissaire n’a pas dit son dernier mot…