Après l’élégant Le Jour d’après montré sur nos écrans en juin dernier, l’infatigable Hong Sang-soo livre déjà un nouveau long-métrage qui en fait a été réalisé avant. Le cinéaste sud-coréen aligne décidément une filmographie surabondante, tournant sans peine deux à trois films par an. De quoi faire tourner la tête des sélectionneurs des grands festivals dans lesquels Hong Sang-soo trouve toujours une place de choix, raflant à l’occasion les prix les plus prestigieux (pour Seule sur la plage la nuit, c’est l’actrice Kim Min-Hee qui a décroché le prix de la meilleure actrice au dernier festival de Berlin). Mais plus que de nous perdre dans la chronologie précise de ses films, la créativité florissante du cinéaste relève surtout d’une recherche artistique. Hong Sang-soo tourne vite pour coller au plus près de ses sentiments et de ceux de ses personnages : presque toujours des rôles de femmes déçues en amour et d’hommes (préférablement des artistes) pris entre désir et lâcheté. Au fil des films se compose ainsi une œuvre à la continuité thématique inflexible : Hong Sang-soo est un cinéaste des désillusions sentimentales. Chaque nouveau film en donne une subtile variation, un peu à la manière d’un peintre modifiant légèrement la lumière sur son sujet pour en capter les détails les moins perceptibles. De ce point de vue, Seule sur la plage la nuit serait une version amère et mélancolique de l’étude du motif amoureux cher au cinéaste coréen.
Si Seule sur la plage la nuit est une étude, Young-hee en est le modèle. Young-hee est une jeune et belle actrice qui a tout laissé derrière elle. Elle a eu en Corée une histoire d’amour avec un cinéaste plus âgé et marié. Face à l’indécision de ce dernier, elle a décidé de partir loin, en Allemagne, où nous la retrouvons hébergée par son amie Jee-young. Young-hee a ressenti le besoin de s’isoler pour s’extraire de cette relation passionnelle trop douloureuse. Avec Jee-young, qui a elle-même refait sa vie seule à Hambourg, elle s’autorise un moment suspendu dans sa vie, le temps de réfléchir à ce qu’elle attend des hommes et de l’amour. Si Young-hee est partie si loin, c’est aussi en espérant que son amant prendra la décision de la rejoindre. Dans un Hambourg plongé en plein hiver, cette première partie de film résolument mélancolique livre quelques beaux échanges entre Young-hee et son amie, au cours de promenades où elles évoquent avec subtilité leurs états d’âmes de femmes que l’amour a déracinées.
La seconde partie donne à voir une face beaucoup plus amère des sentiments de Young-hee. De retour en Corée, au contact de ses anciens amis, elle peine à trouver sa place. La tristesse ressentie durant son exil en Allemagne ne semble pas l’avoir quittée et s’exprime désormais auprès de son entourage, notamment lors d’une grande scène de repas trop arrosée (une figure imposée du cinéma d’Hong Sang-soo) qui révélera la colère et le désespoir de Young-hee face aux choses de l’amour.
Depuis plusieurs années, Hong Sang-soo a adopté une mise en scène dépouillée, mélange d’écriture et d’improvisation, qui confère à ses films une grande spontanéité, d’autant que le cinéaste affiche un goût prononcé pour les longs dialogues qu’il filme généralement avec une seule caméra (il préfère les zooms aux champs-contrechamps) et dans leur continuité. Cette esthétique à brûle-pourpoint permet à l’émotion de surgir de manière soudaine et inattendue, tant l’expression d’un visage ou d’une attitude est scrutée avec minutie. Ajoutons qu’on ne saurait regarder ce beau portrait de femme en plein spleen amoureux sans avoir en tête que l’actrice et son réalisateur sont en couple dans la vie. Il est un cinéaste marié et elle a 24 ans de moins que lui…