Vous avez plébiscité, enfants et adultes confondus, Ma vie de Courgette, le génial film en marionnettes de Claude Barras qui, grâce à l'émotion transmise par ses étranges personnages aux têtes rondes, sait rendre sensible et compréhensible par les plus jeunes un sujet grave que les parents ont souvent bien du mal à oser aborder avec eux… Eh bien vous allez adorer les aventures et mésaventures de Wardi. Lors de sa première présentation publique lors de « Mon fremier festival » à Paris, il suffisait de voir les yeux mouillés à la fin de la séance, puis d'entendre le flot de questions posées illico par les enfants à l'animateur Pierre-Luc Grangeon, pour comprendre que le film avait fait mouche. Et pas qu'un peu ! Ma vie de Courgette abordait le sujet douloureux de l'enfance maltraitée ; dans Wardi, c'est le conflit israélo-palestinien, un sujet sacrément casse gueule : peu de parents ont les informations nécessaires pour en parler intelligiblement et utilement avec leurs enfants, pré-ados et ados.
Wardi est une petite fille de 11 ans au destin un peu plus compliqué que celui de la plupart de nos chérubins occidentaux. Wardi est une réfugiée palestinienne dont la famille vit depuis 1948 dans le camp de Burj El Barajneh, à Beyrouth. Dans cet enchevêtrement improbable et périlleux de taudis devenus des immeubles toujours plus hauts, la fillette, malgré les conditions de vie précaires, s'accroche à l'espoir d'un avenir meilleur tout en prenant soin de son grand-père Sidi qu'elle aime infiniment. Le vieux monsieur vit dans la nostalgie de son village de Galilée dont les Israéliens l'ont expulsé 60 ans auparavant et il compte bien y revenir un jour : il a toujours gardé, attachée à son cou, la clef de sa maison, comme un trésor, comme la trace d'une histoire pas tout à fait perdue.
Mais voilà, Sidi sent que sa fin est proche, et c'est le moment de passer à sa si chère petite-fille la fameuse clé, et lui transmettre ainsi l'histoire tragique d'un peuple et d'une résistance. Une résistance que porte aussi en lui « Pigeon », un voisin et oncle un peu fou, perché au sommet du camp, qui élève des pigeons et qui reste marqué par les années de guerre contre l'occupant israélien, quand son peuple tenta de se fédérer dans les années 70/80.
Wardi est avant tout le magnifique portrait d'une enfant qui tente de se dépatouiller avec la Grande Histoire des hommes et de faire face au destin semble-t-il immuable de son peuple, condamné depuis des décennies à vivre au Liban sans papiers, sans droits face à une population qui parfois le rejette malgré leur histoire commune.
Le réalisateur norvégien s'est directement inspiré de l'histoire de sa mère, employée d'une ONG qui travailla dès les années 80 au cœur de ces camps de réfugiés. Son fils a suivi ses traces, est venu plusieurs fois sur place, jusqu'à imaginer cette superbe histoire nourrie du destin des hommes, femmes et enfants qu'il a pu rencontrer. Le film utilise pour le récit contemporain les marionnettes conçues et animées dans les studios français de Folimage à Valence et le dessin animé pour raconter en flash-back l'histoire des parents et grands-parents de Wardi victimes de la Nakba, la grande catastrophe qui, en 1948, poussa 700 à 800 000 Palestiniens sur les routes de l'exil au moment de la création de l'état d'Israël…
Mais à la fin du film, lumineux comme le ciel de Palestine, on se dit, malgré le destin tragique du peuple palestinien, que le pouvoir de résilience et la force de vie des enfants seront toujours les plus forts. On reste épatés que cette petite créature de quelques dizaines de centimètres ait pu nous emporter dans un tel tourbillon d'émotions.