De prime abord, le projet d’écrire, réaliser et jouer dans un film tout à la fois peut paraître arrogant, mais cela tombe bien, car c'est un attribut indispensable pour quiconque ambitionne de tourner un film sur l’auteur du Portrait de Dorian Gray. On dit de certains acteurs qu’ils sont nés pour jouer certains rôles, un compliment souvent répété à Rupert Everett pour son interprétation du personnage d'Oscar Wilde dans la reprise londonienne d’une pièce de David Hare intitulée The Judas Kiss (performance qui lui a valu une nomination aux Prix Laurence Olivier dans la catégorie meilleur acteur dans une pièce de théâtre). Quelques années plus tôt, l’acteur avait déjà incarné des personnages issus de l'œuvre du célèbre écrivain irlandais dans les adaptations cinématographiques L’Importance d’être Constant et Un mari idéal. Malheureusement, on l’imagine mal recevoir les mêmes éloges pour son rôle dans The Happy Prince, projeté dans la section Berlinale Special du Festival de Berlin, un film qui montre qu'en fin de compte, les acteurs ne naissent pas pour certains rôles.
À bien des égards, le film est un complément à The Judas Kiss. Dans la pièce de David Hare, le scénario était scindé en deux actes : le premier se déroulait à Londres en 1895, quand Wilde, sur les conseils de son amant Bosie Douglas, poursuit le père de ce dernier en justice pour diffamation, l’homme l’ayant taxé de sodomite ; le deuxième se situait à Naples après la libération de Wilde, incarcéré pour homosexualité au terme du procès. Le film s’inscrit dans cette même période post-pénitentiaire et nous présente Wilde sous les traits d’un personnage persécuté et déterminé à suivre son cœur –même quand il est clair que ce désir ne débouche que sur douleur et autodestruction. Everett montre que la décision de l’écrivain de poursuivre sa relation avec Bosie (Colin Morgan) est la source de tous ses malheurs : elle force sa femme délaissée (Emily Watson) à lui couper les vivres, ce qui le fait sombrer dans la misère, et consterne son fidèle ami Reggie Turner (Colin Firth, avec une moustache).
La structure du film et la décision de raconter les dernières années, difficiles et souvent passées sous silence, du célèbre auteur suscitent l’admiration. Le problème est qu’Everett ne réussit pas à assembler tous ces éléments pour en faire une œuvre percutante. L’énergie et la profondeur des premières scènes (ainsi que celle de l’orgie napolitaine) deviennent vite un lointain souvenir. Le récit s’essouffle petit à petit tandis qu'on voit Wilde attaqué en pleine rue et malmené par Bosie. L’histoire prend donc un tour plutôt sombre et mélancolique mais Everett tente d’alléger l’atmosphère en introduisant quelques notes plus joyeuses via des flash-back des jours heureux où Wilde lisait à ses enfants ou à ses jeunes amis parisiens son conte Le prince heureux. L’allégorie et le génie spirituel du conte se reflètent dans les fabuleux éclairages et la photographie de John Conroy, qui nous fait assister à l’action de derrière des obstacles ou braque la lumière sur un point de l'écran. Dommage que le récit et l’action se perdent en digressions, au lieu de faire mouche.