Décembre 2012 : répondant au SOS de sa collègue Mitra Kadivar, le psychanalyste Jacques-Alain Miller tente par échanges de mails de la libérer d’un hôpital psychiatrique à Téhéran. À partir de cette correspondance saisissante, le film rend compte du combat de Mitra pour être entendue et en propose une interprétation lyrique. Ce travail de création est nourri par celui que mènent les patients d’un centre psychiatrique en France, faisant de Mitra la tragique héroïne d’un ciné-opéra documentaire.
En hiver 2012, Mitra Kadiva, psychanalyste iranienne, internée contre son gré dans un hôpital psychiatrique de Téhéran, appelle au secours, par mail, Jacques-Alain Miller, fameux psychanalyste. Elle entame ainsi une correspondance qui aboutira à sa sortie d’asile. Découvrant cet échange, Jorge León, cinéaste attentif aux souffrances et à leur mise au silence (on se souvient du bouleversant Before We Go, FID 2014), y devine la matière d’un drame contemporain – d’un film. Mais pour ce film, Jorge León décide d’une forme opératique, choisissant de répondre au mutisme contraint de l’internement et au silence de l’échange mail par la vocalisation, par l’expressivité magnifiée du chant et de la musique. Mitra, pourtant, ne se résume pas à la captation d’un opéra réalisé, à l’inverse : il s’organise comme le chantier de sa fabrication. Opéra en éclats, musique au travail, chanteuse (Claron McFadden) et chanteurs en répétition, compositrice (Eva Reiter) et compositeur (George van Dam) à l’ouvrage : c’est la manufacture du chant, la délicatesse du tact en jeu dans chaque note qui occupe ici toute notre attention. Mais il y a davantage encore, car dans cette fabrique exacte et généreuse, nul lieu où la production du film s’est aventurée n’est évidemment laissé au-dehors, et surtout pas certains murs de l’hôpital psychiatrique de Montperrin, près d’Aix-en-Provence, ni quelques-unes, quelques-uns de ses patientes et patients. Du coup, ce à quoi Jorge León donne toute sa place, autant qu’à la production des sons, c’est à l’exercice tendu, lui même inaudible, qu’est l’écoute. Une écoute ici décrite prise au milieu d’un entrelacement, mise en commun de ce qui souffre à se dire. Comme si écouter était – à l’autre bout de l’emprisonnement qu’est la folie – le commencement de la musique : le commencement de la justice.