Dans la filmographie de Luis Buñuel, La Voie lactée se situe entre Belle de Jour et Tristana. De ces trois films, celui-ci est de loin le plus atypique, le moins « classique » – du moins au sens formel du terme. La Voie lactée peut se lire comme le récit picaresque de deux pèlerins qui embarquent pour un voyage mystique à travers le temps et l’espace, mais également comme un essai théologique à la fois érudit, léger et spirituel, extrêmement documenté par son coscénariste Jean-Claude Carrière. À travers les pérégrinations de Jean et Pierre – magnifique et improbable duo formé par les acteurs Laurent Terzieff et Paul Frankeur –, cette œuvre retrace l’histoire des hérésies au sein de l’Église catholique et leur remise en cause des dogmes soi-disant établis – mais jamais véritablement prouvés, ce qui entraîne dans le film de nombreux débats portant aussi bien sur l’Eucharistie, la Vierge Marie que sur le concept de la Sainte Trinité. L’existence même de La Voie lactée souligne les contradictions inhérentes chez Buñuel entre son éducation chrétienne très stricte et son besoin de se révolter contre cette éducation. Ce film démontre son besoin quasi obsessionnel de Dieu en même temps que sa volonté de s’en détacher et de remettre en cause le dogmatisme de l’Église catholique. La Voie lactée est considéré comme le premier volet de son triptyque surréaliste – qu’il poursuivra avec Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) et Le Fantôme de la liberté (1974) : les scènes s’enchaînent sans relation de cause à effet puisque l’on passe d’une période à l’autre ou d’un personnage à l’autre sans véritable transition. Buñuel offre ici une leçon de liberté de pensée en évitant à la fois l’écueil de l’anticléricalisme « primaire » et celui d’une œuvre uniquement destinée aux aficionados de théologie. Finalement, La Voie lactée est un film plus politique qu’il n’y paraît. Dans un contexte post-Mai 68 et de montée du marxisme, cette remise en cause des dogmes est de bonne augure.