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Conte italien
Voilà un film délicieux, d'un charme envoûtant, qui rappelle combien l'histoire millénaire de l'Italie s'est nourrie de tout et de son contraire… L'Italie, terre de mythologie et cœur d'un Empire qui domina le monde, mère des arts et de l'Église avant de connaître la décadence et la ruine. Et le paysage urbain et rural du pays s'en ressent. Un paysage jalonné de magnifiques édifices, mais dont beaucoup sont abandonnés.
Pietro Marcello, amoureux de l'Italie vue des trains, avait le projet de tourner un road movie documentaire qui irait du Sud au Nord du pays. Mais partant de sa région natale de Campanie (la région de Naples), le réalisateur est tombé sur l'incroyable histoire du Palais de Carditello. Ce merveilleux palazzo des Bourbons dans l'Italie baroque du XVIIIe siècle fut à son apogée une ferme modèle, un centre zoologique d'exception, en pleine effervescence scientifique de l'époque des Lumières. Mais rapidement le Palais a été abandonné et aussi incroyable que cela puisse paraître, il l'est encore aujourd'hui. Mais encore plus incroyable, c'est là qu'apparaît Tomaso, un simple berger que l'amour de la beauté et le simple souci de l'intérêt public – qualité devenue rare dans l'Italie contemporaine… et rare en général – ont poussé à s'occuper du bâtiment envers et contre la Camorra qui en avait fait ses quartiers… et accessoirement à sauver les buffles qui y paissaient.
Une partie du film est donc le portrait de ce personnage hors du commun, que n'auraient pas renié Fellini ou Pasolini. Mais l'improbable arriva (je ne vous gâche pas le plaisir, c'est un élément non essentiel du film) : Tommaso disparut prématurément et Pietro Marcello a transformé son film documentaire pour en faire un formidable conte où apparaît le personnage mythique de Polichinelle et où un jeune bufflon sauvé prend la parole (avec la voix du grand acteur Elio Germano). Polichinelle qui, au-delà du personnage de la Comedia dell'Arte, fut dans la mythologie un passeur entre les morts et les vivants.
Voyage fascinant entre le passé et le présent, entre la vie et la mort, Bella e perduta mêle donc magnifiquement regard documentaire et fable mythologique, alternant scènes de pure fiction et séquences bien réelles, notamment celles montrant la colère des citoyens face à la gabegie publique qui a fait de la Campanie, région autrefois réputée comme une des plus belles du monde, une gigantesque décharge, bien loin des cartes postales des circuits touristiques. Pietro Marcello intègre aussi des images d'archives, qui rappellent la tradition rurale encore bien vivante.
Si tout va bien vous sortirez comme nous de la salle avec dans la tête quelques images inoubliables et le sentiment rare d'avoir vu un film qui célèbre le mariage de la poésie et de la politique. Un film rare, donc précieux.