3.5 | 4 |
Ce beau film, qui nous ramène aux premiers grondements de la guerre d'Algérie, est « librement inspiré » de deux textes d'Albert Camus, en particulier de sa nouvelle L'Hôte. Et si de fait il n'en respecte pas de très près la lettre, Loin des hommes en est fidèle à l'esprit, nous paraît très camusien dans son approche humaniste du contexte et des situations, dans son respect empathique de chaque individu et de ses motivations, dans son refus de juger trop vite, dans son souci de la nuance qui pourrait passer pour de la mollesse politique ou pour un manque de conviction anti-colonialiste… mais ce serait injuste : la vision du film suffira à vous en convaincre.
1954 dans les montagnes de Kabylie. Daru, ex-officier de l'armée française, est aujourd'hui instituteur et il fait la classe à une poignée d'enfants arabes, avec une attentive bienveillance. Daru est aussi isolé que son école posée au milieu de nulle part : il est considéré par les colons comme un étranger, parce qu'il a un accent un peu anguleux – on apprendra qu'il est d'origine andalouse – et surtout parce que, comme on l'a dit plus haut, ses élèves sont tous arabes ; et pour les autochtones il est un Français, même s'il parle leur langue, même s'il connaît et respecte leur culture, même s'il s'est complètement fondu dans le paysage… Daru a fait la guerre, il sait ce que ça signifie, il n'en veut plus. Il souhaite la concorde, il cultive l'apaisement. Et sa grande carcasse est suffisamment impressionnante – c'est Viggo Mortensen qui joue le rôle, inutile d'insister sur la carrure et le charisme qu'il peut donner à son personnage – pour inciter au calme, à l'échange, au dialogue plutôt qu'à l'affrontement…
Un jour arrive un petit détachement de militaires français. Mauvais signe : pour qu'ils prennent la peine de venir jusqu'à lui, il faut qu'il s'agisse d'une sale affaire. Et la soldatesque lui assigne en effet une piètre mission, qu'il est supposé accepter en tant qu'ancien officier : escorter un paysan accusé de meurtre jusqu'à la ville la plus proche, où il doit être jugé et condamné, sans doute à mort. Daru dans un premier réflexe refuse catégoriquement. Pas question pour lui de se mêler de cette histoire, de se faire l'instrument d'une justice qui se montre d'autant plus aveugle et sourde que l'accusé est arabe. Mais notre instituteur qui se veut au-dessus de la mêlée va être obliger de s'impliquer lorsque des cousins de la victime du meurtre débarquent en force pour se venger du présumé coupable : pour le défendre, Daru doit reprendre les armes et il n'aura d'autre choix que de le mener en lieu sûr, loin d'ici, et donc de partir en direction de la ville où l'attend le jugement.
Commence alors pour Daru et son « prisonnier », Mohamed, un lent périple sur les crêtes de l'Atlas, une longue marche pendant laquelles ces deux taiseux auront le temps d'apprendre à se parler, peu, à se connaître suffisamment pour comprendre qu'ils sont tous les deux des hommes sans certitudes, sans patrie qui vaille la peine de verser son sang et celui des autres, des hommes qui doutent : l'un, l'Arabe, parce qu'il n'a jamais eu d'autre choix, l'autre, le Français, parce que son expérience l'y a conduit… Comme ses deux anti-héros, le film n'est pas bavard. Comme eux il avance en marchant, si vous voyez ce que je veux dire. L'expérience est physique autant qu'intellectuelle et morale, elle est profondément marquée par les paysages minéraux de l'Atlas algérien (filmés au Maroc !)