Comme toutes celles et ceux partis loin faire leurs vies, c’est avec un étrange sentiment que Jasna a laissé son mari et ses deux enfants en Allemagne pour rendre visite à sa mère dans son pays d’origine, la Croatie. A l’arrivée, un mélange d’appréhension et de mélancolie : les souvenirs qui remontent et le doute d’avoir laissé là quelques itinéraires inachevés. Bien sûr, il y a d’abord le bonheur de revoir ceux qu’on aime et puis, très vite, la peur de ne plus savoir comment partager leurs vies, de s’être irrémédiablement éloigné de leur quotidien.
Pour Jasna, la situation est particulièrement plus délicate : sa mère, Anka, est malade et n’a pas le caractère à rendre les choses faciles. Elle est plutôt du genre à refuser de changer ses habitudes pour prendre un peu soin d’elle et à pester sur les docteurs qui n’avaient déjà pas su guérir son regretté mari. Anka n’y va pas par quatre chemins lorsqu’elle a quelque chose à dire. Pour l’instant, elle vit encore chez elle grâce au passage d’une aide à domicile dévouée – à qui elle mène pourtant la vie dure – et la visite de quelques amis. Mais la charge va s’alourdir, il faut trouver des solutions. Or le mirage de le faire en une semaine, comme Jasna l’avait annoncé à son mari et ses enfants, s’éloigne rapidement : a mère refuse à peu près n’importe quelle forme d’aide et envoie bouler toute proposition quant à son avenir. Mais surtout, ce que Jasna ne pensait pas voir surgir, c’est l’implication affective qui la concerne. Elle qui est partie mener une vie prospère à l’étranger : comment venir aujourd’hui imposer son aide alors qu’elle s’est éloignée de la vie de sa mère ? Sait-elle seulement ce qui pourrait apaiser les vieux jours de cette matriarche acariâtre ? Jasna se trouve vite contrainte de passer sur place un peu plus de temps que prévu, juste assez pour faire voler en éclat la distance affective qu’elle tentait jusqu’ici de maintenir. Elle prend alors en charge les affaires courantes, reçoit la famille, croise des amis d’enfance, et finalement prend conscience que pour apporter son aider, elle doit laisser le rapport à son passé et à cette mère invivable reprendre une place dans son existence.
L’excellente idée de mise en scène du film est de tout nous donner à voir sur le visage de Jasna. Du début à la fin, la caméra ne la quitte pas, nous laissant suffisamment à voir des scènes ou des actions en arrière-plan, tout en se focalisant sur l’intériorité du personnage. Et pour cause : c’est le rapport de Jasna au monde qui est déterminant. Sa mère ne changera pas, seule la perception qu’en a Jasna pourra modifier leurs rapports. Il faut souligner ici l’exceptionnelle performance de l’actrice Daria Lorenci-Flatz, dont les moindres expressions nous donnent à ressentir les difficultés à concilier compassion et colère envers cette vieille dame enfermée dans sa rigidité affective. Sans apitoiement ni pathos, Mère et fille saisit avec finesse les chemins qui mènent une femme à faire la paix avec la mère qu’elle est train de perdre.