Conçu à l’origine comme une grande fresque en deux parties sur les années 1960, entre action et comédie, Nos années sauvages affiche trois des plus grandes stars du cinéma hongkongais, avec un budget conséquent. Mais entre les mains de l’esthète Wong Kar-wai, son destin sera tout autre. C’est un échec commercial, il n’y aura donc pas de seconde partie. Mais avec le temps, l'œuvre deviendra culte.
Dans ce film mystérieux, Wong Kar-wai se joue de toutes les conventions narratives. Avec dextérité, il délaisse Yuddy pour s'attarder sur les autres personnages (les scènes de rue entre la serveuse et le policier), il joue avec le rythme (brusque accélération avec une scène de violence après des moments de splendeur contemplative), il insère des plans de forêts luxuriantes, une fin elliptique, un personnage inexpliqué… Tout cela pourrait égarer le spectateur. Et pourtant l’envoûtement est total. « Wong Kar-wai a le génie des rencontres et il aime à se laisser happer, emporter au gré de son inspiration fantasque, par un personnage, une situation, comme on suivrait une fille aperçue dans la rue ou croisée dans le métro. » (Thierry Jousse, Cahiers du cinéma n°500, mars 1996).
Wong Kar-wai n’a pas reconstitué les années 1960, il a filmé ses souvenirs fantasmés d’une époque. Et dans ce Hong Kong imaginaire et intime, il entremêle les histoires et les destins de quelques personnages qui se cherchent, se croisent, se manquent et qui sont, au finale, infiniment seuls. Entre présent et passé, Nos années sauvages est un film de sensations. La chaleur, le mambo, la peau, la pluie, les sons d’horloge, la langueur, la mélancolie, la sensualité, la fuite du temps se ressentent. Avec un soin infini porté au cadre et à la couleur, Wong Kar-wai réussit à filmer l’infilmable : l’attraction de deux peaux.
« Nos années sauvages a l’inconscience, l’insouciance et l’inquiétude, la fièvre et la mélancolie de la jeunesse. Yuddi est un héros existentiel qui n’a d’autre motivation que de se déplacer, errer sans cesse, fuir en avant comme en arrière. Sa raison d’être c’est d’être là, c’est tout. » (Thierry Jousse, op. cit.)