En 1971, cela fait déjà vingt ans que Joseph Losey est devenu un cinéaste britannique, suite à son exil forcé de Hollywood pour cause de maccarthysme. Pour la troisième fois, après The Servant (1964) et Accident (1967), il collabore avec le dramaturge Harold Pinter, qui adapte pour lui un roman de L.P. Hartley. Losey en tire l’un de ses plus beaux films.
Le Messager commence en 1900, dans une somptueuse demeure campagnarde où débarque Leo, jeune garçon d’origine modeste invité pour les vacances par un camarade issu de l’aristocratie. Choyé, le visiteur devient une attraction, avant d’être utilisé comme messager par Marian, la sœur de son ami, qui le charge de transmettre des lettres à son amant, métayer dans une ferme voisine. D’extérieur à ce monde, Leo devient alors un maillon essentiel des petits commerces sexuels que celui-ci entretient au-delà des apparences. Ou plutôt en deçà, car tout l’enjeu du film est de révéler ce qui se passe en profondeur, dissimulé sous l’élégance et les conventions de la haute société victorienne.
Losey filme ce monde en de longs et sublimes plans souvent vides (le jardin) ou peuplés de corps immobiles, non dans un but illustratif mais en laissant toujours sentir – aidé en cela par la musique de Michel Legrand – qu’il y a quelque chose de caché, que ce que l’on voit (trop sage, trop propre, trop figé) n’est que la plus superficielle des couches successives de réalité. C’est en montrant peu que Losey laisse deviner beaucoup.
Le Messager étonne aussi par son rapport au temps : l’histoire racontée est théoriquement constituée des souvenirs que Leo se remémore, des décennies plus tard, lors d’un retour sur place. Mais le supposé flash-back devient récit au présent alors que l’époque « actuelle » prend la forme de flashes quasi subliminaux annonçant l’avenir, donc la mort du présent, en phase avec le désenchantement violent vécu par le personnage de Leo, dont Losey filme ainsi la fin de l’enfance.