Le Nouveau Monde
Zona Franca, vitrine touristique quelque peu décatie, est le plus grand centre commercial de Patagonie, dans la province chilienne du détroit de Magellan.
C’est d’abord par la splendeur des paysages que Georgi Lazarevski nous fait découvrir ce pan de Nouveau Monde longtemps inconquis. Mais les cadrages disent autre chose que la beauté – peut-être l’angoisse d’y vivre isolé comme Gaspar, chercheur d’or qui peine à joindre les deux bouts.
Le récit entremêle la vie de ce piquiñero, celle de Patricia, vigile de Zona Franca coincée dans sa guérite, et celle d’Edgardo, routier politiquement actif. La qualité d’écoute laisse à Gaspar et à Edgardo le temps d’exister aussi comme des êtres qui rêvent, Gaspar à l’amour qu’il n’a jamais trouvé, Edgardo au bateau de son père, vendu par nécessité.
Quand les habitants bloquent les routes pour protester contre l’augmentation du prix du gaz, la bulle touristique éclate. La « Route de la fin du monde » prend un sens littéral pour les étrangers immobilisés. Poignante, la culpabilité d’Edgardo pendant les manifestations renvoie à une blessure ancienne, et aux cicatrices coloniales encore à vif de tout un territoire qui a trop tôt fait de muséifier son histoire. La très belle séquence où il visite l’hôtel de luxe dans l’ancien abattoir où il a travaillé dans sa jeunesse montre sans didactisme la violence des bouleversements en cours.
« Cette région est fascinante car c’est un concentré d’Histoire. En à peine plus de 150 ans, on est passé du dernier bout d’Amérique originelle à l’industrialisation, qui a périclité pour terminer par le loisir de masse. Tout a été très vite, et on y sent toujours cette énergie de transformation…
« J’ai filmé les paysages grandioses. Il fallait que ce soit beau, mais aussi étrange, parfois menaçant, décalé. Il s’agissait de donner à voir le spectacle surnaturel du mythe, pour mieux m’en écarter, et dévoiler la réalité. Celles des habitants qui luttent, c’est cette beauté-là qui m’a marqué et à laquelle je voulais rendre hommage. » (Georgi Lazarevski)