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Attention film exceptionnel
Berlin est tranquille. La journée est paisible. Les rayons du soleil cajolent les scènes du quotidien. Les enfants jouent, les mères les surveillent. Deux vieux sur un banc devisent… « J'aime penser que les moments les plus importants de l'Histoire ne se produisent pas sur les champs de bataille ou dans les palais, mais dans les cuisines ou les chambres d'enfants » dit l'un, reprenant une phrase de l'écrivain israélien David Grossman qui naîtra trente ans plus tard… Clin d'œil anachronique, géographique, intemporel : nous sommes le 15 mars 1921. Plus loin, un jeune homme svelte, charmant, à l'élégance classique, guette le perron d'une demeure cossue. Malgré l'ambiance printanière, il apparait vite qu'il n'attend pas un rendez-vous galant. Ses traits reflètent une anxiété mêlée d'impatience. Un monsieur à l'air important sort alors de la maison… Notre jeune compère s'avance vers lui d'un air décidé… L'un s'appelle Talaat Pacha, l'autre Soghomon Tehlirian… Si ces noms vous sont familiers, vous devinerez la chute de l'histoire et comprendrez pourquoi elle constitue un habile prologue qui éclairera brillamment notre histoire contemporaine. Dans le cas inverse, autant qu'on vous laisse découvrir la suite sans en dire plus…
Soixante ans plus tard, Marseille est tranquille… Au-Dessus de la petite épicerie que tiennent ses parents, Aram a grandi de manière paisible. Sa grand-mère arménienne, chaque jour que son Dieu fait, raconte, chante, tremble encore des heures sombres qu'elle a vécues et que le reste du monde semble avoir pratiquement oubliées. Elle est la petite voix, de plus en plus fragile, qui refuse de se plier, de sombrer dans l'oubli. Elle est à la fois pénible et réjouissante, tenace en tout cas. Et ses petits-enfants l'écoutent, même les plus jeunes. Elle leur parle d'un temps qu'ils ne peuvent pas connaître. Elle leur parle de leurs racines, d'une terre dont ils ont été chassés. Et malgré ce long exil, le plaisir, les liens qu'ils ont tissés ici, leur diaspora reste enracinée dans ce passé-là. Une culture qu'ils ne renient pas, entretiennent comme une richesse supplémentaire. Ils sont d'ici avec ce petit plus venu de là-bas. De la même manière qu'ils célèbrent le 14 juillet, il est impensable d'oublier la commémoration du 24 avril, début du massacre de leur peuple, d'oublier les saveurs de l'Arménie, ses senteurs, sa cuisine, ses danses et chants traditionnels…
Mais peu à peu, Aram, devenu un jeune adulte, se radicalise, questionne père et mère, les renvoie à leur part de responsabilité individuelle dans le manque de courage et de résistance collectifs. Alors que pour leur génération l'urgence était de survivre, de s'intégrer, d'offrir à leurs enfants la vie bonne, ces derniers réclament, coûte que coûte, la reconnaissance du génocide perpétré contre leurs aïeux. Et un jour Aram disparaît sans un mot. Dans les journaux, on lit que les attentats se multiplient, perpétrés par l'ASALA (Armée Secrète Arménienne de Libération de l'Arménie)…
Robert Guédiguian raconte qu'une part du scénario est née de sa rencontre avec José Gurriaran, écrivain, journaliste espagnol, qui, en 1981 à Madrid, sauta sur une bombe posée justement par l'ASALA. Paralysé à vie, victime innocente, il se mit à se passionner pour la question arménienne jusqu'à en épouser la cause. Sans justifier le terrorisme, les colères légitimes passent parfois par des chemins extrêmes… Une très belle histoire qui nous rappelle que seuls peuvent pardonner ceux qui n'ont pas oublié, et qui souvent ont été touchés jusque dans leur chair.