Matteo Garrone maintient l'esprit originel de l'iconique marionnette et ne se laisse pas influencer par les tendances de la production fantastique. À quoi s'attendre de le part d’un réalisateur qui s’est inspiré de faits divers, créé des personnages obscurs comme un taxidermiste homosexuel tué par son protégé, ou un homme obsédé par les filles anorexiques, qui a rencontré le succès international en décrivant le monde des affaires et du crime de la Camorra napolitaine, qui a raconté la paranoïa progressive d’un participant à un reality show, puis affronté le style fantastique dans un film situé au XVIIe siècle avec une touche d’horreur, pour revenir à un fait divers brutal : l'histoire d’un toiletteur pour chien de banlieue qui torture un boxeur jusqu’à la mort ? Pinocchio est avant tout un film de Matteo Garrone, mais il ne ressemble pas à Tale of tales. C’est plutôt une interprétation philologiquement correcte d’un classique de la littérature italienne pour jeunes de la fin du XIXe siècle. Le réalisateur a maintenu l’esprit présent dans le récit de Carlo Collodi, qui a publié en 1881 le livre qui a créé une icône universelle, donnant lieu à mille interprétations philosophiques et psychanalytiques. Garonne ne s'est pas laissé influencer par les tendances qui orientent la production cinématographique de science-fiction d'aujourd’hui. Il a utilisé au mieux la technologie dont nos temps disposent.
Dès la première séquence, Garonne nous immerge dans un monde rural, où les gens souffrent de famine, et la photographie du Danois Nicolaj Brüel, déjà avec Garonne pour Dogman, aide à rendre compte de cet univers ancien, entre réalité et imaginaire, dans une gamme de couleurs chaudes et brunâtres. Même le Pays des Jouets a les couleurs d'une fermette de campagne et non d'un parc d'attraction plus moderne. Roberto Benigni, qui a réalisé et interprété son Pinocchio en 2002, crève ici l'écran dans le rôle de Geppetto, et son potentiel expressif est la garantie que le film touchera le grand public. "J’ai pensé à me fabriquer moi-même une belle marionnette de bois, une marionnette merveilleuse qui sache danser, faire de l'escrime et des bonds incroyables. Avec cette marionnette, je vais faire le tour du monde". Avec cette déclaration d’intention, Geppetto le rêveur se fait l’alter ego du réalisateur : à partir d’une matière première comme le bois, et donc la vie, il veut fabriquer son cinéma merveilleux. Les scènes d’horreur sont présentes, mais modérées (il y a celle où Pinocchio se brûle les pieds, sa pendaison par le Chat et le Renard, sa transformation en petit âne), mais justement, le fait que le réalisateur retienne les rènes refroidit un peu le récit et tempère son pathos originel. Le petit héros, Federico Ielapi, est caché derrière un maquillage réalisé par le maestro Mark Coulier (Harry Potter). Massimo Ceccherini, également co-scénariste du film avec Garonne, est un Renard magnifique. Et tandis que la Fée de Marine Vacth est de bois et inexpressive, les interprétations d'excellents acteurs comme Gigi Proietti, Rocco Papaleo, Maria Pia Timo, Davide Marotta, Paolo Graziosi, Massimiliano Gallo, Teco Celio, Maurizio Lombardi et Nino Scardina, quoique parfois brèves, renvoient à une tradition théâtrale italienne qui sublime la forme cinématographique.