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Le château, c'est celui où la réalisatrice a grandi, même que sa mère, qui joue sa mère dans le film, l'a remeublé pour l'occasion, puisqu'il y a longtemps que la famille ne l'habite plus. Son frère ne joue pas son frère dans le film et pour cause : on le voit mourir doucement du sida… Mais l'amoureux de Louise dans le film, Nathan, est joué par Louis Garrel, qui fut son amoureux… Alors fatalement, on ne vous le cachera pas, il y a beaucoup d'aspects autobiographiques et intimes dans ce nouveau film de Valéria Bruni Tedeschi. Mais en écrivant le scénario à trois mains, les morceaux de vie des unes viennent aussi nourrir cette histoire personnelle et universelle à la fois : on ne parle jamais aussi bien des autres que lorsqu'on parle de soi.
Dans cette histoire de famille et d'amour, la vie de château n'est plus ce qu'elle était, et c'est un monde, une époque qui se meurt en même temps que le frère aimé, l'alter ego, l'autre soi-même… Mais ne croyez pas que le film est triste, c'est la vie et c'est comme ça : ça vous déchire et ça vous balance un jour une rencontre dans les pattes qui vient chambouler un spleen que vous pensiez chronique. On n'y croit pas, on s'imagine qu'il n'y a pas de place pour autre chose que ce sentiment de débandade et de douleur sourde qui vous replie sur vous même… et puis l'amour s'en mêle, s'emmêle… car elle n'est pas simple la gonzesse ! Ses quarante printemps et des clopinettes ne lui ont apporté ni sagesse ni sérénité et tomber amoureuse d'un garçon de vingt ans plus jeune qu'elle ne simplifie pas les choses. Alors en réaction à l'enlisement, il lui vient tout à coup une fringale de vie : il lui faut un bébé, qui la rattacherait au futur, lui tisserait un avenir aimable, en rupture avec le naufrage de sa famille, produit un peu dégénéré de la grande bourgeoisie industrielle italienne… C'est donc à la fois tragique et drôle, grâce à cette allumée qui force le sanctuaire d'une église où une sainte, réputée pour ses miracles, attire des processions de femmes en mal d'enfant, et s'asperge frénétiquement le ventre d'eau bénite malgré le barrage des bonnes sœurs qui veille au bon respect de l'ordre…
Le film tangue entre auto-dérision, tristesse sourde et fantaisie, entre l'espoir et la peur que peuvent inspirer les choses de la vie, entre deux cultures : Louise passe sans prévenir de l'italien au français. Les relations entre les personnages, particulièrement celles avec son frère, rappellent que les sentiments humains sont complexes : quoi qu'on s'interdise, ne sommes nous pas aussi des êtres de chair et d'ambiguité ? Et l'amour fraternel est ancré dans la chair, comme d'ailleurs toutes les amitiés de la terre, et l'inceste n'est jamais très loin…
On peut ne pas adhérer à la fantaisie débridée de Valeria, mais une chose est sûre, c'est que ce troisième film est le plus abouti et elle pose et impose son style d'une originalité décoiffante, parfois irritante, tout en abordant très subjectivement plein de thèmes forts, comme celui de l'envie d'enfant. Il va falloir que Louise survive « au temps qui passe, à la mort de son frère »… « Pour elle, avoir un enfant, c'est une façon de ne pas se laisser engloutir par la douleur, la solitude, la souffrance et la mort… c'est la preuve que la vie peut encore, malgré tout, être gaie »… Pour Louise dit Valeria, et son film dit tout haut des choses que beaucoup partagent et n'osent même pas se dire tout bas.