Dans la veine de son excellent Le Pont des espions, Steven Spielberg se consacre ici à ce qui est presque devenu un genre à part entière dans le grand cinéma américain classique : le film sur la presse, sur la grandeur et la nécessité du travail des journalistes qui, pour peu qu'ils soient indépendants et conscients de l'importance de cette indépendance, sont régulièrement amenés à jouer un rôle essentiel dans la bonne marche de la démocratie. Le titre original dePentagon papers est d'ailleurs le nom d'un journal : The Post, diminutif pour The Washington Post, celui-là même qui révéla, quelques années après les faits relatés dans Pentagon papers, le scandale du Watergate. Ce qui amène évidemment à faire référence à un des films emblématiques du genre qui nous occupe : Les Hommes du président d'Alan Pakula, avec le duo mythique Woodward - Redford et Bernstein - Hoffman. Mais on pense aussi au plus récent et formidable Spotlight, dont le titre reprenait l'intitulé de l'équipe d'investigation du Boston Globe, au centre de l'intrigue. Et comme en l'occurence il n'y a pas de hasard, l'un des scénaristes de Pentagon papers, Josh Singer, a également co-écrit Spotlight avec le réalisateur Tom McCarthy !
Les « Pentagon papers » (Papiers du Pentagone), c'est l'équivalent seventies de Wikileaks et autres Panama ou Paradise Papers actuels, et le précurseur du Watergate qui allait exploser trois ans plus tard : un des scoops les plus fondamentaux du journalisme américain, la publication en 1971, d'abord par le New York Times et ensuite par le Washington Post, de documents classés « secret défense » – exfiltrés par Daniel Ellsberg, expert militaire et lanceur d'alerte avant la lettre, qualifié à l'époque d'« homme le plus dangereux d'Amérique » par le sinistre Henry Kissinger – qui détaillaient les relations entre les Etats-Unis et le Vietnam de 1945 à 1967 et qui démontraient clairement que les hauts dirigeants américains, et plus spécifiquement les présidents Johnson et Nixon, savaient que la guerre du Vietnam, délibérément étendue et intensifiée, était un bourbier tragiquement ingagnable et avaient sciemment menti au Congrès et au public sur l’avancement de cette guerre.
La publication de ces documents entraîna une féroce réaction du gouvernement américain qui chercha par tous les moyens à museler les journalistes, ces « fils de putes » comme n'hésitait pas à les désigner Richard Nixon. Devant le refus d'obtempérer du New York Times et du Washington Post, l'affaire remonta jusqu'à la Cour Suprême qui donna timidement raison aux artisans d'une presse libre.
Autre aspect essentiel du film, il se trouve que le Washington Post était à l'époque dirigé par Katharine Graham (Mery Streep), la toute première femme à occuper le poste de directrice de la publication d'un grand journal américain. On imagine sans peine à quel point sa position était délicate et le niveau de courage dont elle a dû faire preuve pour faire face à la situation. Le duo explosif qu'elle forme avec Ben Bradlee, son rédacteur en chef (Tom Hanks, qui reprend donc le rôle joué par Jason Robards dans Les Hommes du président) est un des atouts du récit.