B.G
Le 08-10-2013
B.G, le 08-10-2013
Odyssée tragique
Le film, tout comme le roman de Faulkner dont il est adapté, nous plonge immédiatement dans la chaleur moite des confins subtropicaux du Deep South Américain. Il sent la sueur des hommes de peine autant que le parfum des magnolias en fleur, il montre la misère crasse aussi bien que les paysages splendides des abords du fleuve Mississippi. Un film bercé par le grincement d'un rocking-chair abandonné devant une masure en bois, fouetté par le souffle des chevaux en plein effort. Un film dont les héros ont tous un accent nasillard et rocailleux, probablement accentué par les défauts de dentition, et qui nécessite des sous-titres même pour les meilleurs des anglophones. L'acteur-réalisateur James Franco s'est attaqué à un monument de la littérature américaine, Tandis que j'agonise de William Faulkner, que l'écrivain mythique du Sud américain écrivit en quelques dizaines de jours alors qu'il travaillait dans les années trente dans une centrale électrique. Et le film est loin d'être indigne du roman, c'est déjà un exploit !
On est au cœur de la famille Bundren : Addie, son mari Anse et leurs cinq enfants. Une famille miséreuse typique du coin. Addie se meurt et personne, y compris l'intéressée, ne se fait aucune illusion sur l'imminence de la fin. Chez les Bundren, très religieux, la mort fait partie de la vie, et chacun a semble-t-il fait son deuil de la mère tandis qu'elle agonise. Au point que le fils aîné, Cash, s'attelle illico à la construction du cercueil, sous les fenêtres de la malheureuse qui fait promettre à son mari de lui assurer un enterrement digne de ce nom à Jefferson, sa ville natale, à plusieurs jours de cheval de là…
L'essentiel du récit va donc être le trajet chaotique, parfois cauchemardesque de Anse et de ses enfants – Cash, Darl le cadet au lourd secret, Jewel le bâtard un peu à l'écart, Dewey Dell, la seule fille, et Verdaman, le benjamin pas encore sorti de l'enfance – transportant sur une charrette brinquebalante le cercueil de la mère. Le voyage et ses péripéties (un incendie, la traversée épique d'un fleuve…) sont racontés comme dans un western lancinant, et James Franco traduit remarquablement à l'écran la construction complexe du roman de Faulkner, qui jouait des digressions temporelles et des points de vue multiples. Utilisant souvent le « split screen » (l'écran séparé en plusieurs cases qui montrent chacune une réalité différente), parfois de manière quasi-expérimentale, provoquant des ruptures de rythme en alternant scènes rapides et contemplatives, Franco sollicite en permanence notre attention et nous permet de découvrir les motivations complexes de chacun des personnages, le voyage vers Jefferson s'avérant une grande catharsis familiale où chacun exprime ses rancœurs étouffées, ses secrets inavouables, où personne ne fait de cadeau à personne, avec en apothéose la séquence de l'enterrement (pour la petite histoire, Franco fit réellement creuser le trou par les acteurs) où chaque personnage va au bout de lui-même… Avec cette voix off du plus jeune des fils qui renforce le côté anxiogène du film, qui le fait presque basculer du naturalisme vers le fantastique…
Au milieu d'une troupe d'acteurs remarquables, mention spéciale à la prestation exceptionnelle de Tim Blake Nelson, patriarche édenté et obstiné, porté autant par l'amour de sa femme que par un sens inné de la survie du clan.