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Enfin un grand film romanesque qui renoue avec la tradition du cinéma français des années 30, ces grands drames amoureux qui se déroulaient dans le monde ouvrier. Pas un hasard si le héros de Grand Central, Gary Manda, porte le même patronyme que celui de Casque d'or de Jacques Becker. Un monde ouvrier très particulier en l'occurrence, qui synthétise toute la dureté, toute la précarité de notre système.
Gary est un jeune homme qui, comme pas mal d'autres, a enchaîné petites conneries et galères de boulot et qui finit par prendre ce qu'il peut trouver. Un boulot qui fait peur à certains, et dont l'immense majorité connaît mal la réalité : travailleur dans une centrale nucléaire, salarié par un sous-traitant. Il rejoint la « confrérie » de ceux et celles – il y en a quelques-unes – qui, pour à peine plus de 1500 euros par mois, flirtent avec la mort invisible, au plus près du réacteur, et qui, malgré les procédures de sécurité et les vêtements de protection, risquent à tout instant l'accident qui va faire exploser le dosimètre. Et comme la nécessité économique impose de continuer à bosser même quand les doses de radiations autorisées sont dépassées, il arrive que certains camouflent les mesures… Plutôt risquer la contamination que de perdre son gagne-pain. Un monde d'autant plus étrange – et captivant pour nous, spectateurs, qui le découvrons – que ces ouvriers itinérants de centrale en centrale vivent dans des camps de mobile-homes bien cachés du grand public, au bout d'une bretelle d'autoroute improbable, au milieu d'une végétation luxuriante que favorise le rejet des eaux chaudes de l'énorme réacteur. Autant dire que s'il y a vie de famille, elle se passe là… Mais souvent il n'y en n'a a pas. Dans ce milieu clos, avec ses hauts et ses bas, il n'y a guère de place pour le chacun pour soi : chacun est responsable de l'autre et la solidarité est vitale.
C'est dans ce cadre étonnant, passionnant et éminemment cinématographique, que Rebecca Zlotowski fait vivre une histoire d'amour impossible, entre le jeune et beau Gary et Karole (Léa Seydoux, très crédible en prolo sensuelle et audacieuse), la femme de Toni, un vétéran parmi les décontamineurs, toujours le cœur sur la main, un des premiers à aider le débutant Gary ; un cocu magnifique, grand et tendre, splendidement incarné par Denis Ménochet. On n'oubliera pas non plus le personnage très fort joué par Olivier Gourmet, chef d'équipe sans illusions mais toujours sur la brèche, qui connaît les risques par cœur et essaie d'en préserver les nouveaux arrivants.
Rebecca Zlotowski filme remarquablement l'univers très particulier de la centrale, les gestes des ouvriers, les procédures ultra-précices, ritualisées, qui pourtant n'évitent pas la faute, l'inattendu qui peut provoquer le drame, rappelant au passage qu'il n'y a bien que les communicants d'EDF pour faire semblant de croire à la perfection de la sécurité nucléaire. Elle décrit admirablement ces salariés usés par la peur, parfois rattrapés par les radiations, elle fait vivre cette ambiance de tension permanente, que rendent supportable les moments de réelle fraternité. Dévorés par la pression et le danger, Gary et Karole le seront aussi par la passion, charnelle, vitale, plus forte que tout…